1877 |
1877
Léon Cornudet à Alfred de Falloux
La Motte Servolex (Savoie), ce 13 juin
Monsieur le comte,
Je viens d’éprouver en recevant votre lettre si grandement bienveillante, un sentiment qu’il m’est difficile de vous exprimer. Ce sentiment est celui d’un étonnement plein de reconnaissance, car en vérité, j’étais loin de m’attendre à ce que ce livre1 publié pour ainsi dire malgré moi, le succès qui l’accueille partout, succès dont vous voulez bien m’envoyer le témoignage si flatteur. Ce livre avait été écrit pour les miens ; lui faire franchir le cercle intime auquel je l’avais dessiné, me semblait impertinent. Il a fallu pour me rassurer et pour me décider, que j’entrevisse un peu de bien à faire. Votre lettre me prouve que ce but est atteint. Entre le temps où vivait le Mis Henry et le temps où nous vivons nous-mêmes que d’analogie en effet. L’égoïsme, les illusions, les défiances sont comme ce juif errant qui parcourt le monde sans vieillir jamais et sans mourir. Quelle triste expérience j’ai faite de ces choses, pendant les cinq années que le hasard m’a fait passer à l’assemblée de Versailles. J’ai vu là, qu’il valait mieux vivre avec les morts qu’avec les vivants et je m’en suis revenu au fond de mes montagnes dégoûté à jamais d’une telle vie.
Mais pardonnez-moi, Monsieur de vous parler ainsi de moi, alors que ma lettre ne doit être qu’un remerciement. Permettez-moi d’y joindre, Monsieur le comte, l’expression de ma haute et respectueuse considération.
Mis Costa de Beauregard
1Sans doute, Un homme d’autrefois, 1877. Ouvrage pour lequel Costa de Beauregard a obtenu le Prix Montyon de l’Académie Française.