CECI n'est pas EXECUTE 9 septembre 1883

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9 septembre 1883

Charles-Albert Costa de Beauregard à Alfred de Falloux

Mérieux par Morestel, Isère ce 9 septembre [1883]

Monsieur le comte, je reviens avec bonheur au Bourg d’Iré. Si j’ai un peu tardé, la faute en est aux innombrables kilomètres qu’il m’a fallu faire pour trouver de l’encre et du papier. Maintenant que j’ai tout cela, me voilà fort entrepris de m’en servir. Ils n’est vraiment pas aussi facile qu’on le dit d’énoncer clairement ce que l’on conçoit bien. Vous vous en êtes aperçu sans doute, quand je vous ai quitté. J’étais en proie à tous les scrupules du vicomte de La Rochefoucauld1. Les choses que j’avais à vous dire de ma tendre et respectueuse reconnaissance étaient si remarquables, que vous m’auriez bien sûr accusé de les inventer. Dieu sait, pourtant si j’avais quelque chose à inventer. Ces sentiments dont je ne vous ai pas parlé, et dont je vous parle sont au fond de mon cœur pour y rester toujours.

On ne va pas impunément au Bourg d’Iré. Quand on vous quitte, on vous appartient par son cœur et par son âme. J’en suis si heureux, que vous pardonnerez de vous le dire et de vous remercier d’avoir permis qu’il en soit ainsi. J’ai bien vivement regretté de n’avoir pas, en passant par Paris charger Lavedan de vous apporter tout cela au Bourg d’Iré. Mais Lavedan a été introuvable. Lefébure2 sur qui je comptais n’a pas reçu ma dépêche en temps utile. Dans tous les cas ma lettre ne vous aurait donné que de vieilles nouvelles. Les gens de Garily3 n’avaient pas eu le temps de revenir quand j’ai traversé Paris. J’ai seulement appris que l’agent le plus actif du père Ball et de Madame la comtesse de Chambord4 avait été d’Andigné5. C’est lui qui a inspiré les belles choses, que vous savez, de l’Univers. Mais grâce à Dieu nous voilà hors d’affaire Monsieur le comte de Paris a gagné à toutes ces intrigues des adhésions que l’amour-propre eut fait, dans d’autres circonstances, se marchander chèrement. J’en ai la preuve dans les propos excellents tenus par une horde de cavales blanches horde dans laquelle j’ai donné par hasard à Paris. Toutes ne demandaient qu’à manger dans la main de Monsieur le comte de Paris. Pour y arriver avec quelque décence, elle passait à la queue leu leu sur le dos du père Ball et de Madame la comtesse de Chambord. Vous vous seriez bien amusé de toutes ces petites ruades aussi prudes que cyniques. Mais voilà qu’il me faut reprendre la brochure de Cumont6. Je ne puis vous dire mon remords, en vous quittant de ne l’avoir pas assez lue. L’exemple d’Ernest aurait dû me faire plus d’impression. Je la méditerai, je vous le promets, et quand vous me permettrez de revenir vous me trouverez converti.

Rien ne me coûtera pour pouvoir vous redire mes sentiments de profond et respectueux attachement.

M. Costa

je vous demande de vouloir bien transmettre au bon Monsieur Lemanceau7 et à Monsieur André8 mon affectueux souvenir.

En même temps que cette lettre, partiront pour les modérés le médaillon du pauvre évêque d’Orléans9, et une petite notice que j’ai écrite, il y a deux ans, sur un brave garçon de mon pays.

 

1La Rochefoucauld, Marie-Charles-Gabriel-Sosthène, duc de Bisaccia, puis duc de Doudeauville (1825-1908), homme politique. Élu à l'Assemblée nationale en 1871, il sera réélu de 1876 à 1889. Légitimiste, il contribua au renversement de Thiers, puis après avoir tenté, en vain, de convaincre le comte de Chambord de s'engager dans la « fusion », il déposa le 15 juin 1874 une proposition en faveur d'une restauration immédiate qui ne recueillit que 64 voix.

2Lefébure Léon Albert (1837-1911), homme politique. Auditeur au conseil d’État, il fut élu le 24 mai 1869 au Corps législatif, où il siégea au centre gauche. Réélu lors d’une élection complémentaire (juillet 1871) il rejoignit le centre droit et vota contre l’amendement Wallon mais pour les lois constitutionnelles. Il collabora à plusieurs périodiques et notamment au Correspondant.

3?

4Marie-Thérèse, princesse de Modène, princesse royale de Hongrie et de Bohême, et archiduchesse d’Autriche-Este, (1817-1886), veuve du comte de Chambord.

5D’Andigné, Maurice (1844-1926), ancien conseiller du Maine-et-Loire, légitimiste, il contestait les droits d’hérédité du comte de Paris au trône. Il dirigea le Journal de Paris.

6Voir lettre d’Albert de Rességuier à Falloux du 30 mars 1883.

7Jean-Baptiste Lemanceau, régisseur du domaine des Falloux.

8Secrétaire de Falloux.

9Mgr Dupanloup.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «9 septembre 1883», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1883,mis à jour le : 16/12/2021