1883 |
19 janvier 1883
Arthur de Cumont à Alfred de Falloux
L’Épinay1, 19 janvier 1883
Cher ami,
J’ai reçu une excellente réponse de Soland2. Le style c’est l’homme. On ne peut rien de plus franc ni de plus droit. Ils jugent d’ailleurs la question comme nous. La suppression volontaire de l’Union de l’Ouest amènerait une véritable déroute ; ce serait l’abdication des sages au profit des fous, des modérés au profit des violents et des intrigants ; ce serait perdre en un jour le fruit de 15 années de prudence et de savoir-vivre politique qui ont fait du département de Maine-et-Loire « la tête de pont » de la réaction conservatrice, le type de l’union entre les conservateurs, union qui nous vaut la majorité dans le conseil général, la majorité dans la députation, la totalité pour les sénateurs. Dans ma lettre à Soland, je lui disais que l’une des conséquences de la disparition de l’Union de l’Ouest serait de nous mettre à la remorque du Journal de Maine-et-Loire, et à la merci des ambitions, des calculs, des haines de l’évêché. Or, il me répond que la coalition est faite et conclue entre le Courrier des bonapartistes, l’Anjou de Mgr Freppel, et le Réveil de Monsieur de Jeux. Le Courrier a publié une note où il déclare qu’il se réserve le choix des candidats bonapartistes et la fixation du nombre de ses candidats. Dès le lendemain l’Anjou a répété cette note, et le Réveil venant à la rescousse, annonce que sa liste est déjà arrêtée, et qu’elle portera en tête monsieur Hervé Bazin3, l’homme de la monarchie chrétienne. Quel argument en faveur du maintien et de la réorganisation de l’Union de l’Ouest ! En effet, si on suppose L’Union de l’Ouest absente, l’équilibre est rompu ; le Courrier, l’Anjou et le Réveil s’adjugent la formation de la liste ; le Journal de Maine-et-Loire, isolé, désemparé, transige pour ne pas tout perdre, et sauver un ou deux des siens ; le comité disparaît ; le suffrage universel refuse de s’atteler à la liste de l’évêque, le département a perdu pour le parti conservateur.
Soland qui, je le répète, est en tout et sur tout de notre avis, me promet de s’occuper très activement de l’affaire auprès d’Armand de Maillé4 et de ses autres collègues de la Chambre et du conseil général. Au fond la situation n’est pas aussi compromise qu’elle semble l’être. Nous avons perdu beaucoup d’abonnés depuis quelques années, et l’on pourrait les regagner en partie, parce que les circonstances ne sont plus les mêmes. L’Union de l’Ouest gagnerait aussi, je le crois, à devenir une œuvre collective, au lieu d’être une œuvre personnelle. L’unité de direction et de commandement offre sans doute de grands avantages, mais c’est un grand grief aussi un grand prétexte, une grande défaveur lorsque l’on dit : c’est le journal de Monsieur de Falloux ou c’est le journal de Monsieur de Cumont ! L’évêque s’est beaucoup servi, et avec trop de succès malheureusement, de ce moyen d’attaque contre l’Union de l’Ouest.
Adieu, cher ami, n’ayez pas de rhumatismes dans la poitrine, portez-vous bien et revenez le plus tôt possible. Je vous embrasse tendrement
A. de Cumont
1Château de l’Epinay, domaine d’Arthur de Cumont, à Saint-Georges sur Loire (Maine-et-Loire)
2Conseiller général du canton de Thouarcé (Maine-et-Loire), Théobald de Soland (1821-1906) était un collaborateur de L'Union de l'Ouest. Venu suivre les cours de droit à la Faculté de Paris, il s'était lié avec Augustin Cochin, puis avec A. de Falloux. Revenu en Anjou en 1851, il entra dans la magistrature, puis devint conseiller Cour d'appel d'Angers. Entré au Conseil général en 1870, il fut élu député le 5 mars 1876 et constamment réélu jusqu'en 1898. Il siégea avec la droite.
3Bazin, Ferdinand Jacques Hervé (1846-1889), né Ferdinand-Jacques Hervé, il avait ajouté à son nom celui de son épouse Marie Claire Bazin. Il était le grand-père de l'écrivain Hervé Bazin (1911-1996).
4Maillé, Armand Urbain Louis de La Jumellière de (1816-1903), député monarchiste de la circonscription de Cholet depuis 1871, il conservera son siège jusqu'en 1896, siégeant constamment avec l'Union des Droites.
