CECI n'est pas EXECUTE Ier mars 1876

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Ier mars 1876

Camille Doucet à Alfred de Falloux

Paris, le 1er mars 1876

Monsieur le comte, cher et honoré confrère,

Le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable. Vous me croirez cependant, j’espère, quand je vous dirai, quand je vous affirmerai que je me disposais à vous écrire aujourd’hui même.

Je regrette vivement que votre bienveillance m’ait si gracieusement prévenu.

J’avais pensé que, par respect pour la perte si récente de notre pauvre cher secrétaire perpétuel1, Il convenait de m’abstenir de toute démarche, de toute politesse même, pouvant paraître intéressé, non seulement pendant la première semaine, mais jusqu’à la fin du premier mois ; et, si l’on s’est occupé beaucoup, à l’Institut, et dans les journaux à mon grand regret, de l’affaire dont je me contentais de me préoccuper, je n’ai pas du moins, à me reprocher, pour ma part, d’avoir pris encore l’initiative d’en parler à qui que ce soit, directement ou indirectement.

D’un autre côté, nous avons demain une séance publique pour la réception de M. John Lemoine2 et, devant y rencontrer nos confrères j’avais cru juste et opportun de me présenter aujourd’hui chez M. le duc de Noailles et chez M. Mignet, ce que je ferais ; et de vous écrire en même temps ; ce que je fais ; ce que je n’avais pas encore osé faire.

J’apprends avec regret que vous êtes souffrant. Mais la grippe est plus importante que dangereuse, je vois avec reconnaissance qu’elle ne vous empêche pas de porter intérêt à l’académie et à tout ce qui s’y rattache.

Je commence donc bravement par vous parler de moi.

Si je n’ai rien dit encore à personne beaucoup de vos confrères m’ont fait comme vous l’honneur de me témoigner des dispositions favorables et je crois aujourd’hui l’affaire en très bonne voie.

Parmi les <mot illisibe> MM. De Sacy3, Nisard4 et Cuvillier-Fleury pouvaient avoir de très légitimes prétentions et l’académie, eut pu tout naturellement leur donner la préférence ; mais chacun d’eux a décliné cet honneur, chacun d’eux m’a spontanément assuré de son concours. De ce côté, la situation est donc aussi bonne que possible.

Le camp des jeunes ont compté au moins quatre prétendants : MM. Saint René Taillandier, Camille Rousset5, Caro6 et Mézières7.

M. Rousset seul paraît vouloir entrer dans la lice appuyé, dit-on, par M. le duc de Broglie et M. le comte d’Haussonville8.

Je ne serai pas en question, avec…. Je ne dirai pas mon droit ; mais mon titre d’ancienneté, que plusieurs autres concurrents s’élèveraient contre la candidature,respectable à mes yeux, mais prématuré peut-être de M. Camille Rousset.

Je crois donc pouvoir vous dire tout bas, sans trop de fatuité, qu’à défaut d’une unanimité toujours enviable, mais toujours difficile à obtenir une majorité importante semble devoir consacrer le successeur de M. Patin.

L’élection aura très probablement lieu le jeudi 30 mars ; notre directeur M. Legouvé étant parti hier pour Cannes et ne devant revenir que le 21.

Ai-je besoin d’ajouter que votre voix m’est absolument indispensable ; plus encore comme poids que comme nombre.

On entre à l’académie par la lutte, on n’y peut être vraiment et honorablement secrétaire perpétuel que par la conciliation, par la bonne entente, par l’accord préalable, et avec l’appui moral de tous les maîtres de la maison.

D’ici au 30 mars, d’autres intérêts vous attireront sans doute à Paris. J’en profiterai avec bonheur.

Demain au plus tard, aujourd’hui peut-être, je ferai votre commission auprès de M. John Lemoinne et il regrettera beaucoup votre absence.

Son discours a un double mérite. Il ne touche pas à la politique et il ne dure que 40 minutes !

En revanche celui de M. Cuvillier-Fleury, très politique et très littéraire comme le Journal des débats lui-même, remplira tous les vides et produira je crois, un grand effet. Trop grand ! Disait hier un timide qui me paraît s’inquiéter outre mesure.

Quant à l’important travail sur M. l’abbé Houssaye, ils ne concourent pas pour un des prix Montyon ; mais pour le prix Thérouanne ; c’est là qu’il rencontre, en effet, la concurrence de M. Marius Topin. Tout s’arrangera. Un seul de nos confrères lui fait quelques sérieux reproches ; tous les autres lui sont favorables. Donc, par un moyen quelconque, sous une forme ou sous une autre, le succès est assuré.

Que cette certitude ne vous empêche pas de venir à Paris, quand vous serez assez bien portant pour le faire sans danger. Tous vos protégés auront besoin de vous.J’en sais quelque chose.

Agréez, je vous prie, Monsieur le comte, avec mon plus respectueux hommage pour Madame la comtesse de Falloux, la nouvelle assurance de ma profonde gratitude et de mon entier dévouement.

Camille Doucet

1Henri Patin (1793-1876), latiniste et littérateur, élu à l’Académie française en 1841, il avait été nommé secrétaire perpétuel de l’Académie française. Suite à son décès, le 19 février 1876, Camille Doucet s’était porté candidat à sa succession.

2Lemoinne John (1815-1892), diplomate, journaliste et homme politique. Collaborateur puis rédacteur en chef du Journal des Débats, il écrivit également pour la Revue des Deux Mondes, lui fournissant plusieurs travaux sur la politique, des études sur l’Angleterre et des études biographiques. Entré à l'Académie française en 1875, il fut élu sénateur inamovible en 1880.

3Sacy, Samuel-Ustazade-Silvestre de (1801-1879), écrivain et homme politique français, il fut nommé conservateur à la Bibliothèque Mazarine en 1836. Fils du célèbre orientaliste, il fut critique littéraire au Journal des Débats où il rédigea une grande partie des articles politiques jusqu'au coup d’état du 2 décembre se consacrant alors uniquement aux questions littéraires. Élu à l’Académie française en 1854, il entra au Sénat en 1865 bien qu’il ait été élu comme opposant au régime impérial.

4Nisard, Désiré Jean Marie Napoléon (1806-1888), écrivain et homme politique. Collaborateur au Journal des Débats et à la Revue des Deux Mondes, il avait été nommé professeur d'éloquence latine (1833) puis d'éloquence française au Collège de France. Adversaire résolu des romantiques, il fut élu à l'Académie française le 28 novembre 1850 en remplacement de l'abbé de Féletz. Élu de la Côte d'Or de 1842 à 1848, il siégea au centre. Sous l'Empire il avait été élu au sénat où il soutint l'empire autoritaire.

5Camille Rousset (1821-1892), auteur d'ouvrages militaires. Il avait été élu le 30 décembre 1871.

6Caro Elme Marie (1826-1887), professeur de philosophie. Disciple de V. Cousin, il publia plusieurs ouvrages de philosophie spiritualiste et fut élu contre H. Taine à l'Académie française le 29 janvier 1874 en remplacement de Ludovic Vitet.

7Mézières Alfred Jean François (1826-1915), essayiste et homme politique. Normalien, professeur de littérature étrangère à la Sorbonne, il fut l'auteur de plusieurs études sur Shakespeare, Dante et Goethe. Journaliste, il participa à la fondation du temps en 1864. Élu en 1881, député de Meurthe-et-Moselle, il siégea avec les républicains opportunistes et fut constamment réélu jusqu'en 1898. Devenu sénateur de ce même département en 1900, il continua de siéger avec le centre gauche. Élu à l'Académie le 29 janvier 1874 en remplacement de Saint-Marc Girardin, il fut reçu le 17 décembre 1874 par Camille Rousset.

8Haussonville, Joseph Othenin Bernard de Cléron, comte d’ (1810-1884), diplomate et homme politique. Il commença sa carrière de diplomate comme attaché à l’ambassade de France à Rome auprès de Chateaubriand en 1929. Après la révolution de 1830, il continua sa carrière diplomatique à Bruxelles, Turin et Naples. Il avait épousé en 1836 la sœur d’Albert de Broglie, Louise Albertine de Broglie. Ayant démissionné de ses fonctions de secrétaire d’ambassade en 1842, il se fit élire à la Chambre des Députés (collège de Provins). Ayant protesté contre le coup d’état du 2 décembre, il se réfugia quelque temps à Bruxelles. Collaborateur de la Revue des Deux Mondes, il fut l’un des chefs de file de l’Union libérale. Le 29 avril 1869, il fut élu à l’Académie française. Après la chute de l’Empire, il se tint à l’écart de la vie politique. Le 15 novembre 1878, il fut néanmoins élu, en tant que républicain conservateur, sénateur inamovible.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «Ier mars 1876», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1876,mis à jour le : 16/05/2021