CECI n'est pas EXECUTE 12 mai 1875

1875 |

12 mai 1875

Camille Doucet à Alfred de Falloux

Paris, le 12 mai 1875

Monsieur le comte, très cher et très honoré confrère,

A l’heure même où cette lettre vous parviendra demain au Bourg d’Iré, trop loin de nous hélas ! Notre illustre compagnie sera en mal d’enfant ; et je crains bien qu’elle n’accouche de deux jumeaux dont il vous déplairait d’être le parrain.

L’opération préalable de la discussion des titres a été très habilement faite hier et l’on en attendrait les meilleurs résultats, si la raison, la justice et la vérité pouvait encore se faire entendre ; si là, comme partout, on n’avait à lutter contre des préventions et des partis pris.

M. de Sacy1, avec son talent oratoire que, malgré tout ce que nous savons de lui, nul n’aurait pu soupçonner, a exposé très savamment et très brillamment mis en relief tous les mérites de M. Dumas2. Un vote unanime aurait du répondre sans hésiter, à tant de titres présentés avec tant d’éloquence.

Le bon droit aura du moins eu l’honneur d’inspirer tous ses apôtres.

Après M. de Sacy, Claude Bernard3 nous a causé une égale surprise et une joie égale en parlant à son tour dans le même sens, au nom de la science d’abord, puis au nom de son académie et au nom de toutes les académies du monde.

La tâche des défenseurs de la partie adverse devenait très difficile.

Legouvé4, si habile d’ordinaire, embarrassé aujourd’hui, s’en est tiré avec plus d’esprit que d’autorité, en disant qu’il n’avait qu’une seule objection à faire et que la candidature de M. Dumas lui paraîtrait devoir réunir tous les suffrages, si elle s’était produite la première, mais que M. Jules Simon s’étant présenté 48 heures plus tôt, il était impossible de ne pas lui donner la préférence.

C’est ainsi, Monsieur le comte, que vous aurez le droit et le devoir d’entrer avant tout le monde, à la première représentation de Zaire5 ; vous qui, depuis un mois, faites queue moralement pour le spectacle ; à la porte du Théâtre français !

M. Gagne fera bien de s’inscrire dès demain chez Pingard6 pour ma succession.

Voilà… où nous en sommes

Votre absence n’a jamais été plus regrettable. Une voix suffirait peut-être pour changer le dénouement trop probable.

Ce n’est pas que d’une voix, c’est surtout d’une affluence que vos protégés comme vos confrères, se trouveront privés à l’heure du combat.

J’ai l’air de vous reprocher votre maladie! Je n’en veux qu’à elle d’être venue d’abord chez vous, et de ne vous avoir pas quitté assez vite.

Je l’imiterai dans quelques mois ; mais je n’abuserai pas comme elle de l’hospitalité ; et je lui donnerai l’exemple des visites discrètes et des départs précipités.

Ce que je ne fais pas aujourd’hui, en causant si longuement avec vous. Je m’oubliais !

Ne m’oubliez pas, je vous prie, auprès de Madame de Falloux, à qui je présente de loin, mon plus respectueux hommage, et veuillez agréer, Monsieur le comte et cher confrère, la nouvelle assurance de mon entier dévouement.

Camille Doucet

1Sacy, Samuel-Ustazade-Silvestre de (1801-1879), écrivain et homme politique français, il fut nommé conservateur à la Bibliothèque Mazarine en 1836. Fils du célèbre orientaliste, il fut critique littéraire au Journal des Débats où il rédigea une grande partie des articles politiques jusqu'au coup d’état du 2 décembre se consacrant alors uniquement aux questions littéraires. Élu à l’Académie française en 1854, il entra au Sénat en 1865 bien qu’il ait été élu comme opposant au régime impérial.

2Dumas Jean-Baptiste (1801-1884), chimiste et homme politique. Membre de la Législative en 1849, ministre de l'Agriculture et du commerce en 1851, il deviendra sénateur en 1852. Candidat à l'Académie française, il ne sera élu qu'en 1875, au siège de François Guizot.

3Bernard, Claude (1813-1878), médecin physiologiste. Membre de l'Académie des Sciences (1854) et de l'Académie de Médecine (1861), professeur de physiologie expérimentale au Collège de France en 1855, président de la Société de Biologie, il était entré au sénat en 1869. Auteur de plusieurs ouvrages de médecine et de science, il collaborait par ailleurs à la Revue des Deux Mondes. Il était membre de l'Académie depuis le 7 mai 1868 en remplacement de Jean-Pierre Flourens.

4Legouvé, Ernest Gabriel Jean-Baptiste (1807-1903), auteur dramatique et essayiste. Fils de l'académicien Jean-Baptiste Legouvé (1764-1812), il avait obtenu, en 1827, le prix de l'Académie pour son poème, Découverte de l'Imprimerie. Il était membre de l'Académie française depuis le Ier mars 1855.

5Zaïre est une pièce de théâtre, tragédie en cinq actes de Voltaire, écrite en 1732.

6Pingard, Antonius, membre de l’Institut où il s’occupe des archives, de la comptabilité, de l’impression des mémoires, etc.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «12 mai 1875», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1875,mis à jour le : 16/05/2021