CECI n'est pas EXECUTE 2 juillet 1882

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2 juillet 1882

Mgr Donnet à Alfred de Falloux

Bordeaux, le 2 juillet 1882

Monsieur le comte,

J’ai reçu il y a quelques jours et je vous en remercie les deux volumes qui viennent de paraître de vos Discours et mélanges politiques1. Ce témoignage de bons souvenirs m’a profondément touché ; sans aucun retard, j’ai voulu relire des pages qui, en leur temps, eurent un retentissement si considérable.

C’est pendant une récente tournée pastorale, dans les Landes du Bazadais2, que j’ai parcouru les discours prononcés par vous de 1846 à 1868. Cette lecture m’a été une jouissance et un repos ; elle a ravivé des impressions que les années n’avaient pas effacées, mes quatre vingt sept ans ont tressailli aux accents de votre éloquence toujours si patriotique et si chrétienne.

Quelles étaient solennelles et émouvantes, Monsieur le comte, ces séances de l’assemblée constituante et de l’assemblée législative, alors que les plus grands intérêts étaient en jeu et que vous remportiez avec les Berryer et les Montalembert, sur l’esprit d’impiété et de révolution, de si belle victoire ! La catholicité n’oubliera jamais le combat que vous soutîntes, plusieurs jours durant, pour le rétablissement du pouvoir temporel, contre les orateurs les plus redoutables ; elle vous saura toujours un gré infini de la part que vous prîtes à cette loi de 1850 qui donna à l’Église la liberté d’enseigner les jeunes générations et de leur faire sentir, pendant trente ans, dans l’intérêt général de la société, sa forte et bienfaisante influence.

À cette date mémorable, j’ai l’honneur de vous adresser une lettre qui se trouve au premier volume de mes œuvres, page 492 ; elle fut signée par un grand nombre d’évêques qui se trouvaient auprès de moi et qui voulurent joindre leur approbation à la mienne. Certes, nous ne dissimulions pas, même à ce moment, que toutes les améliorations désirables n’avaient pas été réalisées et qu’il y avait encore attendre quelque chose de l’avenir, mais quel pas nous avions fait et quelle satisfaction était donnée à la conscience chrétienne ! Depuis lors, Monsieur le comte, cette même question de la liberté d’enseignement m’a toujours préoccupé comme vous. Si vous parcouriez les onze volumes que j’ai livrés à la publicité et dont je crois vous avoir fait hommage, vous y trouveriez un certain nombre de documents que vous croiriez écrits en 1882.

Qu’il y a loin cependant du temps où vous dirigiez le ministère de l’Instruction publique à celui où nous sommes. Ne dirait-on pas qu’un siècle s’est écoulé entre les deux époques ?

Les causes sacrées que vous eûtes alors l’honneur de servir avec tant de vaillance, sont aujourd’hui vaincues. Le Saint-Père n’est pas à Gaëte3 mais sa situation est pire, dans son palais. D’autre part, la liberté d’enseigner n’est presque plus qu’un souvenir et les maîtres les plus vénérés de la jeunesse ont été contraints de descendre de leurs chaires. Quelles terribles vicissitudes, et comme nous avons besoin, quand tous les appuis humains nous font défaut, d’élever nos yeux et nos cœurs vers le ciel d’où doit nous venir le salut.

Prochainement, Monsieur le comte, j’entreprendrai la lecture de votre second volume et je vous remercie d’avance des jouissances que j’y trouverais. En attendant je demande à Dieu de vous bénir, pour les services que vous avez rendus à votre pays, et de remplir la solitude d’où vous assistez aux événements qui se précipitent, de toutes les consolations nécessaires à une âme aussi élevée et aussi chrétienne que la vôtre.

Veuillez agréer, Monsieur le comte, la nouvelle assurance de mes sentiments les plus affectueux et les plus dévoués.

Card. Donnet4, archevêque de Bordeaux

 

 

1A. de Falloux, Discours et mélanges politiques, Paris, 1882, Plon, 2 vols,

2Région du département de la Gironde.

3Ville du Latium, sur la côte méditerranéenne à 115 km de Rome où le Pape Pie IX était venu, le 24 novembre 1848, se réfugier après l’occupation du Quirinal par les troupes de Giuzeppe Mazzini, leader des patriotes italiens.

4Mgr Donnet, Ferdinand François Auguste (1795-1882), ordonné prêtre en 1819, il avait été sacré le 30 mai 1835 en qualité d’évêque de Rosa in partibus comme coadjuteur de l’évêque de Nancy et de Toul en 1835. Promu archevêque de Bordeaux le 30 novembre 1837, il sera nommé cardinal au titre de Santa Maria in Via au consistoire de 15 mars 1852.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «2 juillet 1882», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1882,mis à jour le : 16/05/2021