CECI n'est pas EXECUTE 20 octobre 1860

Année 1860 |

20 octobre 1860

Adolphe Dechamps à Alfred de Falloux

Manage1, 20 octobre 1860

J’arrive bien tard, Monsieur, pour vous remercier et vous féliciter de votre admirable travail sur la question romaine ; une indisposition empêchait de vous dire plus tôt tout le bonheur que j’ai eu à vous lire et combien ces pages magnifiques ont été pour moi une consolation et une espérance au milieu des tristesses et de découragements que les événements de chaque jour nous apportent. Depuis votre discours à l’Assemblée nationale que tous les hommes politiques savent par cœur, jamais votre parole courageuse n’a été plus haute et mieux inspirée et jamais l’effet de cette parole n’a été plus universel et plus grand. L’épée de Lamoricière et votre voix ont puissamment servi à modifier en Europe l’opinion et les événements. Vous avez forcé toutes les hypocrisies à se démasquer, les calomnies à rougir et à compter avec la vérité ; vous avez ouvert la bouche aux évêques, élevés encore le courage du Saint-Père vous avez fortifié ainsi dans les grandes résolutions qu’il devra prendre ; l’opinion égarée s’est sensiblement modifiée et la foi des catholiques a partout grandi. Nous manquons trop de confiance dans la publicité. On ne sait pas assez ce que peut la parole d’un homme, quand la vérité l’inspire, quand elle est marquée du sceau du talent et de l’autorité.

Voilà donc Napoléon III revenu à l’isolement européen d’où il était parti en 1852, le voilà entouré des défiances universelles, enchaîné à la Révolution qui l’entraîne aux abîmes, pendant des appuis à l’extérieur et à l’intérieur, et forcé au printemps prochain d’abandonner l’Italie sous les murs de Vérone, en soulevant contre lui la Révolution trompée et altérée de vengeance, ou bien d’y rencontrer l’Europe armée et de faire la guerre révolutionnaire et générale, en allumant l’incendie qui le dévorera. C’est ce que vous et moi lui avons prédit depuis longtemps et il faut être fou pour ne pas l’appercevoir [sic] clairement. Est-il fou ? Je commence à croire que M. Thiers me l’a parfaitement défini en 1852, lorsqu’il ne trouvait en exil à Bruxelles. Un soir je l’interrogeais sur le nouvel empereur. M. Thiers me dit : je crois très bien le connaître et l’avoir exactement mesuré : voici ma définition : « c’est un fou flegmatique avec toutes les apparences du bon sens. Il y a dans cette tête une partie saine où les facultés sont supérieures et une partie malade. Aussi longtemps qu’il restera dans la première il réussira et fera peut-être de grandes choses ; le jour où il touchera à la seconde, il fera des actes de folie extérieurs ou intérieurs, comptez-y bien» - C’est tout à fait cela, et aujourd’hui, il commet à la fois des actes de folie à l’extérieur où il soulève une coalition et à l’intérieur où sa politique contre Rome lui fait perdre l’appui regrettable qu’il avait trouvé dans le clergé.

Je vous remercie encore une fois, Monsieur le comte, du service éminent que vous venez de rendre à l’Église du courage que vous nous avez communiqué à tous. Le succès que votre parole a obtenu, vous impose le devoir de ne pas rentrer dans le silence. La bataille s’engage de plus en plus ; le feu ne peut pas cesser et il nous faudra bientôt monter à la brèche. Montrez-nous le chemin ; nous suivrons votre parole. Soyez assez bon de remettre des compliments au cher comte de Montalembert dont la santé, j’espère, est meilleure, et à nos amis, et veuillez, Monsieur le comte, agréer l’expression de mes sentiments les plus distingués et bien affectueux.

Dechamps

1Manage, en Belgique.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «20 octobre 1860», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, Année 1852-1870, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1860,mis à jour le : 27/05/2021