CECI n'est pas EXECUTE Fin 1863

Année 1863 |

Fin 1863

Adolphe Dechamps à Alfred de Falloux

Fin 1863

Monsieur,

Votre bonne lettre est pour moi une récompense trop grande assurément du peu que j’ai été appelé à faire dans l’élu que nous soutenons pour notre grande cause. Vous avez lu ma lettre au Pape1 avec une bienveillance exagérée et dont je vous remercie cordialement ; je n’ai fait que traduire de mon mieux les idées élevées que le comte de Montalembert et vous m’avez inspirées. Dieu veuille qu’elles produisent quelque fruit. Je compte beaucoup plus sur les lettres de notre cardinal de Malines2. On craindra, à Rome, de publier une encyclique qui aurait l’air de répondre à l’écrit du cardinal et de le blesser ; ce serait un conflit au moins apparent. On disait hier, à la nonciature de Bruxelles, qu’il n’y aurait pas d’encyclique : c’était la dernière nouvelle. J’en vérifierai demain l’exactitude.

Vous recevrez, par la poste, les articles que j’ai publiés dans le Journal de Bruxelles sur les lettres du cardinal, et que l’on a réuni en brochure. J’en envoie, en même temps, au comte de Montalembert, au prince de Broglie et à M. Cochin. Nous ne restons donc pas inactifs. Une occasion toute providentielle s’est offerte à nous, et nous l’avons saisie avec empressement : le gouvernement du Saint-Siège doit contracter un emprunt de 50 millions. Le cardinal Antonelli3 a chargé le nonce à Bruxelles, de prier la banque hypothécaire belge dont les administrateurs sont très catholiques, de l’aider à conclure cet emprunt. Nous avons chargé notre collègue le comte Adelin de Liedekerke4, sera celui que j’aurais poursuivi en y allant. J’ai une longue conférence avec mon collègue et il remplira parfaitement sa mission. Il plaidera en faveur du silence. Le comte de Liedekerke est très bien vu à Rome ; son père y a laissé d’excellents souvenirs, comme ambassadeur des Pays-Bas ; lui-même y a conservé de nombreuses relations. Comme il est considéré comme très peu enclin aux idées démocratiques, sa parole aura d’autant plus d’autorité à Rome. Il est très convaincu du mal immense que produirait une encyclique, particulièrement en Belgique. Il défendra notre cause avec une grande chaleur. Il sera à Paris mardi. Il descend rue de l’Élysée, 16. Il tâchera de voir l’un de vous. J’espère en cette mission. Le comte de Liedkerke liera sa mission politique à sa mission financière, en faisant comprendre au pape l’impossibilité pour la banque hypothécaire belge de prendre part à l’emprunt, la veille ou le lendemain du jour, où les catholiques belges seraient frappés par l’encyclique. C’est un moyen bien humain ! que voulez-vous ! Il ne faut pas laisser alter une arme que Dieu met à nos pieds.

Je vous remercie avec effusion de la correspondance du R.P. Lacordaire5 que vous avez eu la bonté de m’envoyer. Je lirai ce volume avec le même bonheur que m’a procuré la lecture des ouvrages

de Madame Swetchine6 que vous avez publiés. C’est un nouveau service que vous venez de rendre à la religion et aux lettres. Votre nom est désormais inséparable des deux grands noms de Madame Swetchine et de Lacordaire.

Je ne puis assez vous dire, monsieur, quel bon et profond souvenir m’a laissé le trop court entretien que nous avons eu ensemble à Paris, et combien je désire vous revoir et causer plus longuement avec vous. Je voudrais connaître mieux encore vos appréciations sur la situation européenne si embrouillée et sur la pensée véritable qui règne aux Tuileries. J’écouterais avec curiosité votre expérience et votre rare intelligence politique sur la situation générale qui se couvre chaque jour de plus épaisses ténèbres. J’irai prochainement à Paris et je chercherai à vous rencontrer. Soyez assez bon de communiquer cette lettre au comte de Montalembert qui m’a écrit deux lettres bien encourageantes dont je le remercie de tout cœur. Présentez-lui mes meilleurs compliments, ainsi qu’au prince de Broglie et à M. Cochin.

Veuillez croire, Monsieur le comte, à l’assurance de ma considération la plus haute et à l’expression de ma sincère affection.

Dechamps

 

2Sterckx, Engelbert (1792-1867), prélat belge, archevêque de Malines depuis 1832. Créé en cardinal en 1838.

3Antonelli Giacomo (1806-1876), administrateur ecclésiastique italien. Fait cardinal en 1847 par Pie IX, puis secrétaire d’état, il organisa la fuite du pape à Gaëte en 1848. Il était devenu tout-puissant dans les États Pontificaux. Secrétaire d'état depuis 1849, il servit Pie IX avec dévouement ; foncièrement hostile à toute réforme de tendance libérale, il porte en majeure partie la responsabilité de la politique immobiliste de l’État pontifical de 1849 à 1870 .

4Liedekerke-Beaufort, Hadelin Stanislas Humbert, comte de Liedekerke-Beaufort (1816-1890), homme politique belge, député catholique, il siége avec les élus de droite.

5Falloux venait de publier Correspondance du R. P. Lacordaire et de Mme Swetchine (Didier, Paris, 1864).

6Falloux, Lettres de Madame Swetchine, 2 vols, Paris, Didier, 1862 et Falloux, Madame Swetchine. Choix de méditations et de pensées chrétiennes, Tours, A. Mame et fils, 1867.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «Fin 1863», correspondance-falloux [En ligne], Année 1863, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, Année 1852-1870, Second Empire,mis à jour le : 27/05/2021