Année 1866 |
18 juillet 1866
Alfred-Auguste Cuvillier-Fleury à Alfred de Falloux
Paris, Passy le 18 juillet 1866
Monsieur,
Un peu provoqué par votre lettre du 11 courant, si modeste dans le désir qu’elle exprimait en votre nom ; un peu décidé aussi par une très discrète insinuation du comte de Falloux, j’ai essayé une démarche auprès du directeur du Journal des débats.
Cette démarche avait été déjà faite par notre confrère de l’Institut, M. Bersot1, que vous connaissez bien ; elle avait été poliment écartée dans son objet. Il s’agissait d’une simple insertion de la circulaire du candidat. Je voulais un peu plus, pensant qu’une justice rendue à la modération qui avait inspiré le fond et la forme de cette circulaire, plaiderait pour elle, et j’avais fait précéder l’insertion demandée des lignes que voici : « on sait que c’est pour le 18 et le 29 juillet que les électeurs de la 2e circonscription de Maine-et-Loire sont convoqués, à l’effet d’élire un député en remplacement de M. Bucher de Chauvigné2 décédé. Deux candidats sont sur les rangs, M. Berger3 appuyé par l’administration et M. le comte de Falloux4, ancien député et ministre de l’Instruction publique et des Cultes. Candidat indépendant comme le prouve la circulaire suivante où une rare modération de langage s’allie sous la forme noble, à l’expression de sentiments vaguement libéraux... » (suivez la circulaire…).
Certes, Monsieur, on ne pouvait moins dire. Cependant je n’ai rien obtenu. Mais excellentes et amicales relations avec notre directeur n’y ont rien fait. « Le compte de Falloux, m’a-t-on dit, sait que nous n’avons jamais refusé à ses écrits littéraires la justice qui leur est due et que nous sommes prêts à lui rendre encore. Mais le journal5 ne veut pas prendre parti dans l’élection de Maine-et-Loire pour des raisons qui tiennent à la politique même qu’il a soutenue depuis quelques années. Rien de personnel au comte de Falloux dans cette abstention. C’est question de principes, de politique générale, et pas autre chose… » Je n’avais plus rien à dire ; je n’avais parlé d’ailleurs que pour moi, non comme chargé d’une demande quelconque, et simplement comme l’organe de la justice en matière électorale, telle qu’elle m’était apparue.
J’avais à cœur, Prince, de vous faire connaître le détail. C’est ma décharge auprès de vous, quelque discrète qu’ait été votre demande. Auprès du comte de Falloux, non moins délicat et non moins discret, j’invoque votre entremise pour que mon dévouement à son honorable personne ne lui laisse aucun doute, et que mes vœux pour le succès de sa candidature lui soient de nouveau connus. Veuillez me laisser y joindre pour vous, Prince, l’assurance de ma haute considération.
Cuvillier-Fleury
1Bersot, Pierre-Aimé Bersot, dit Ernest Bersot (1816-1880), philosophe et journaliste. Il venait d’être élu à l’Académie des sciences morales et politiques.
2Bucher de Chauvigné, Gustave (1802-1866), légitimiste, élu du Maine-et-Loire à la Constituante de 1849 aux côtés de Falloux, il s'était rallié au régime au lendemain du coup d'état. Candidat officiel dés 1852, il fut élu dans la circonscription de Segré siégeant au Corps législatif jusqu'à sa mort.
3Berger, François Eugène (1829-1903), homme politique. Attaché au ministère de l'Intérieur, il entra au Conseil de préfecture des Basses-Alpes, puis du Loiret et revient au Ministère de l’Intérieur comme sous-chef du cabinet du ministre puis chef du bureau du personnel en 1860. Candidat officiel, il sera élu député du Maine-et-Loire (circonscription de Segré-Baugé) en 1866 et réélu en 1869. Membre du Conseil général du Maine-et-Loire sous l'Empire; réélu en 1873. Son père occupa longtemps le poste de secrétaire général de la préfecture de Maine-et-Loire.
4Suite au décès, le 22 juin 1866, de Bucher de Chauvigné, député de la circonscription de Baugé-Segré, Falloux s'était porté candidat à sa succession. Malgré une campagne active, il sera finalement battu par le candidat officiel, M. Berger Voir les lettres qui suivent.
5Le Journal des débats dont Cuvillier-Fleury est un des plus importants collaborateurs.
