1882 |
21 octobre 1882
Alfred-Auguste Cuvillier-Fleury à Alfred de Falloux
Paris, Passy, Le 21 octobre 1882
Très honoré et cher confrère,
Je suis en retard avec vous plus que je n’aurais dû et voulu. Je cours, depuis mon récent retour de Chantilly, après mon collaborateur Aron1. C’est au bureau du Journal2 que j’avais chance de le rencontrer, et je ne voulais pas, en lui écrivant, avoir l’air de lui adresser une sorte de sommation officieuse, dont le droit appartient à notre directeur. C’est donc à ce dernier que j’ai porté votre si juste réclamation. Il l’a fort bien accueilli, me promettant de rappeler à M. Aron ce qu’il semble avoir oublié, que c’est par égard pour la priorité qu’il invoquait que je n’ai pas donné suite à votre désir. Je ne croyais pas le Journal quitte avec un homme d’État tel que vous par quelques lignes que j’avais consacrées à vos deux volumes si substantiels, si importants et si remplis. Je n’écris plus beaucoup, cela est vrai ; je laisse la place aux jeunes, sans compter que l’octogénaire, si récemment entré qu’il soit dans cette menaçante période de la vie humaine, - succombe parfois sous le poids ; - sans compter aussi que le juge ne se croit plus très digne de justiciables tels que vous. Cependant si je n’écris plus pour personne, peut-être oserais-je encore écrire pour vous, le plus indulgent des confrères. Je vais donc continuer ma chasse à M. Aron ; si je l’atteins je lui laisserai la vie sauve, afin qu’il l’emploie à votre service. Ne croyez pas d’ailleurs que la présence du Parlement soit une époque défavorable au jugement des écrits politiques ; au contraire.
Dans cet espoir, je me dis une fois de plus, avec tous les remerciements de ma femme pour votre gracieux souvenir. Votre tout dévoué et sympathique confrère.
Cuvillier-Fleury
1Aron, Henri (1842-1885), publiciste, collaborateur au Journal des Débats, à la Revue des deux mondes ; Journal officiel ; Revue Politique ; Revue politique et littéraire ; Bulletin français.
2Journal des Débats, dont Cuvillier-Fleury est un des rédacteurs.
