1873 |
13 avril 1873
Alfred Lallié à Alfred de Falloux
13 avril 1873
Monsieur le Comte,
Je me reprocherais, je vous assure, de ne pas vous apporter mon témoignage de sympathie, si peu qu’il vaille, dans les circonstances présentes. Comme vous, je regrette toutes ces polémiques qui ont pour résultat de montrer aux yeux de tous que le bon sens se sépare chaque jour du droit, mais enfin s’il plaisait à Monsieur le comte de Chambord de se jeter par la fenêtre, et ses meilleurs sujets avec lui, je ne pourrais qu’admirer ceux qui, par fidélité, se feraient un devoir de lui ouvrir la fenêtre à deux battants.
Mieux que vous peut-être, à raison du milieu plus humble où je vis, je puis compter les légions d’honnêtes gens qui ne demandaient qu’à rentrer dans le giron légitimiste, si on eut ouvert la porte un peu large, et qui ont cessé de considérer comme possible l’unique solution qui pouvait sauver le pays.
Quel abus l’on fait de ce mot révolution ! Et quelle chimère de penser qu’un peuple qui, pendant quatre-vingt ans, s’est imprégné d’idées révolutionnaires, s’est <mot illisible> dans ses idées, les expulsera de son organisme, à la seule vue du roi légitimiste ! Je veux bien admettre que ces rois guérissent les écrouelles, mais encore faut-il qu’ils aient été sacrés pour obtenir ce don, et notre souverain fait tout ce qu’il faut pour n’être jamais sacré.
Quand a commencé la Révolution ? Était-ce avant le serment du Jeu de paume1 ou bien avant le 4 mai2 que l’on veut reprendre la tradition ? Ne faudrait-il pas remonter aussi avant la Commission des réguliers3, instituée par Loménie de Brienne4, et qui, sous Louis XV même, supprima tant le couvents et préluda aux mesures de l’Assemblée constituante. L’assemblée des notables en 1780 n’était-elle pas, elle aussi, imprégnée du virus révolutionnaire ?
Que de fois, mes amis et moi, nous avons regretté que vous ne fussiez pas au milieu de nous, car, il faut bien le dire, nous périssons faute de chef, et l’assemblée qui succédera à celle-ci ne le voudra en aucune façon.
Veuillez agréer, Monsieur le comte, l’assurance de mon profond respect.
Alfred Lallié
120 juin 1789.
24 mai 1789 : ouverture des États généraux.
3Cette commission, instituée sous Louis XV, le 31 juillet 1866, était chargée de rechercher et de réformer les abus qui s'étaient introduits dans les monastères, afin d'y rétablir le bon ordre et la discipline, et d'examiner la situation financière des établissements trop pauvres pour subsister
4Loménie de Brienne, Etienne-Charles de (1727-1794), archevêque de Toulouse, il avait été nommé rapporteur de la commission qui sera dissoute le 19 mars 1780.
