CECI n'est pas EXECUTE 25 février 1841

Année 1841 |

25 février 1841

Pierre Lacroix à Alfred de Falloux

Rome, ce jeudi 25 février 1841

C’est bien mal à moi, n’est-ce pas très aimable et cher, depuis 10 jours que vous voici de retour dans cette chère Rome, de ne vous avoir point encore donner de mes nouvelles ni de celles de notre prélat, je l’ai trouvé souffrant toujours cruellement de sa névralgie, et hors d’état de se mettre en route avant Pâques. Il est ici très bien avec M. de Maubourg1, médiocrement dans les papiers du Lambrushini2 ce qui compose une situation que vous pouvez aisément vous figurer. Il a effectivement congédier Carlo qui s’était mis dans la tête de se faire Cantante Primo Basso et lui fait en ce moment, m’a-t-on dit, un procès pour répétition de certains gages ; du reste, il est toujours très occupé de sa vie de bonnes œuvres, sa tenue est bien sacerdotale. Son plan est toujours de rester ici et d’y suivre sa carrière et je suis plus que jamais convaincu avec vous qu’il ne faut pas le contrecarrer là-dessus le moins du monde….Mon voyage depuis Paris nonobstant la saison a toujours été heureux. Je me suis arrêté trois jours chez l’évêque d’Autun3, dix jours à Lyon chez Mgr l’archevêque4 qui va être fait comme vous savez cardinal le 1er mars prochain ; le 11 février je me suis embarqué à Marseille sur le paquebot Le Dante, et après la navigation la plus heureuse sur une belle mer bleue nous abordâmes le 14 au port de Civitavecchia dans le moment même ou le père Lacordaire montait dans la chaire de Notre-Dame ; que dites-vous de ce rapprochement et du discours de l’orateur dont nous ne savons encore rien ici, les journaux qui en parleront ne devant nous arriver qu’après demain. Je ne vous mande rien de la consolation avec laquelle j’ai revu Rome et me suis écrié, après Lord Byron5, O Rome my country, City of Soul ! Vous comprenez cela mieux que je ne saurais exprimer. La restauration de la partie supérieure de Saint-Paul hors les murs ne m’a pas satisfait ; magnificence froide, sans caractère, salle de bourses à l’intérieur, au dehors aspect d’une vaste filature. Voilà l’œuvre des architectes romains du XIXème siècle. La reine Christine6 que j’ai vue à une fête de l’ambassadeur de France où elle était avec sa mère la reine douairière de Naples7, vous aurait donné bien à penser. C’est du reste un très beau personnage royal. Ah, une grâce que j’ai à vous demander, que j’implore de votre obligeance, c’est de m’acheter chez

L. Carmes, éditeur élégamment relié des Heures nouvelles par l’abbé Dassance8, illustrées par les admirables dessins d’Overbeck9 ; vous le remettrez, avec la note du prix que cela aura coûté, à Monsieur Charles de la Bouillerie10 qui ne sera point encore parti je l’espère...vous y joindriez une collection de Dessins et gravures d’Overbeck séparée des Heures auxquelles ils sont destinés (et non reliée) ainsi que les gravures pour la vie de Louis XVI. Le tout porté sur la note des frais à remettre à Monsieur de la Bouillerie, dites-lui bien tous mes compliments et mes respects à Madame sa mère dont j’ai fait la commission auprès de sa sœur. Mes respectueux hommages à Ecmé Signora Contessa di Falù11.

Tout à vous, très aimable et cher, ne m’oubliez pas auprès de votre excellent ami M. Albert de Rességuier mais non plus mes gravures et mes Heures d’Overbeck dont vous voudrez aussi certainement avoir un exemplaire pour la future vicomtesse de Falloux12 c’est le plus parfait cadeau en ce genre que vous lui puissiez offrir.

J’ai parlé l’autre jour avec Monsieur de Maubourg de votre Louis XVI; il en est dans le ravissement. Je lui demandai s’il avait lu le portrait de La Fayette ; «c’est beau comme l’antique m’a-t-il répondu, c’est du Tacite ; et puis c’est si vrai moi qui l’ai si bien connu et vu de si près... »

J’ai cru que ce témoignage et cet hommage ne pourraient, cher ami, vous être indifférent.

Tout à vous en tout abandon et dévouement.

L’abbé Lacroix13

1La Tour-Maubourg, Marie Victor Nicolas Faÿ de, comte de (1868-1850), militaire et homme politique, il est alors ambassadeur de France à Rome.

2Lambruscini, Luigi (1776-1854), cardinal italien, il fut secrétaire d’État et diplomate pontifical. Fidèle à Grégoire XVI, il en partageait les idées conservatrices et antilibérales.

3Trousset d'Héricourt , Bénigne-Urbain-Jean-Marie du (1797-1851), vicaire général d'Évreux, puis de Besançon, il était évêque d'Autun le 15 avril 1829.

4Bonald, Louis-Jacques-Maurice de (1787-1870). Ordonné prêtre en 1811, nommé évêque du Puy en 1823 puis archevêque de Lyon en 1839, il  est l'un des plus fervents défenseurs de l'ultramontanisme. Le 26 janvier 1852, il avait été élevé à la distinction de sénateur de l'Empire.

5George Gordon Byron, (1788-1824), illustre poète de langue anglaise, il est l’une des grandes figures du romantisme anglais.

6Marie Christine Ferdinande de Bourbon (1806-18 de78), princesse royale des Deux-Siciles, reine (1829-1833) puis régente d'Espagne (1833-1840).

7Marie-Isabelle de Bourbon, infante d'Espagne (1789-1848), épouse du roi François Ier des Deux-Siciles.

8Dassance, Nérée (1801-1858), prêtre et écrivain catholique.

9Overbeck, Johann Friedrich (1789-1869), peintre allemand, membre du mouvement nazaréen.

10Charles Roullet de La Bouillerie (1812-1843), frère de François de La Boullerie, entré en religion et ami fidèle de Falloux.

11?

12Marie de Falloux, son épouse.

13Pierre Lacroix (1791-1869), prêtre. Il était clerc national de France à Rome depuis 1828. Il fut protonotaire apostolique et chanoine d'honneur de l'église de Nancy.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «25 février 1841», correspondance-falloux [En ligne], Monarchie de Juillet, Années 1837-1848, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1841,mis à jour le : 29/05/2022