CECI n'est pas EXECUTE 12 juillet 1850

Année 1850 |

12 juillet 1850

Général A. Gameau à Alfred de Falloux

12 juillet 1850

Monsieur,

Je ne laisserai pas Monsieur votre frère partir de Rome sans le prier de reporter un mot qui nous prouve que je conserve un cœur vraiment reconnaissant. Je n’oublierai jamais que Monsieur de Falloux1 a voulu me faire l’honneur insigne de m’embrasser à Lyon. Vous avez voulu sur le terrain même, me donner une de ces récompenses qui marquent glorieusement toute une époque de la vie. Malgré ce suffrage si honorable, on n’a plus voulu de moi à Lyon ; c’est une véritable insulte que l’on a voulu me faire ; mais en même temps on m’a envoyé près du St vicaire de celui qui a montré comment on doit recevoir et pardonner les insultes. Je me suis donc soumis avec cette résignation qui concerne le sang-froid et la force. Envoyé à Rome, j’ai mis de suite de côté la question d’amour-propre militaire, pour ne voir que la grande question sociale. Je crois que quelques personnages ont voulu me donner à Paris une teinte de socialisme : j’aurais pu croire que ma vie à Lyon était une réponse à cette calomnie (car il faut bien l’appeler par son nom.), je me trompais : placé en face de la république des premiers jours de février, j’avais dû chercher les moyens de l’empêcher de déborder et de tout engloutir, car c’était possible. J’avais dû alors employer des mots qui fussent de nature à ne pas être repoussés par des hommes exaltés jusqu’à la folie. On s’est emparé de ces mots là pour jeter sur moi un soupçon injurieux, et ingrat car j’ai bien un peu servi, ceux qui m’ont attaqué ; et qui ne craignent pas qu’on recherche ce qu’ils disaient alors, car ils ne parlaient guère et faisaient encore moins ; avec plus de justice il serait plus indulgent. Aujourd’hui le fait est accompli, et je suis à Rome. Dieu qui me protège évidemment l’a voulu, pour me mettre à même de répondre à qui me soupçonnât de socialisme. Le socialisme réunit tous ses efforts pour détruire la religion en l’attaquant par la tête, par le Pape. Eh bien je me suis dévoué au pape de tout mon cœur et de toutes mes forces ; et si le socialisme fait ici une attaque à découvert, je lui promets un adversaire digne de lui. Je veux qu’il soit dit … le général Oudinot a bien pris Rome et le général Gameau a bien gardé… voilà ma vengeance envers ceux qui m’ont méconnu ; je ne penserais jamais à en avoir une autre, mais celle-ci je l’aurai complète.

Pardonnez-moi ce bavardage, mais j’ai besoin de votre estime et je devais près de vous donner une explication, que je ne consens pas à donner à tout autre.

Un dernier mot : vous voyez et vous appréciez mieux que moi ce qui se passe en France; moi, j’ai bien vu dans un temps et je dois vous dire… ne restons pas en France sur le terrain où nous sommes. Ce serait une faute immense ; car ce terrain, on le mine tous les jours sous nos pieds ; et l’explosion est arrêtée pour 1852.

Je ne sais pas si c’est là vous parler en socialiste, mais c’est bien certainement en homme de conviction.

Veuillez agréer ma haute estime et me conserver la vôtre.

Le général Gameau


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «12 juillet 1850», correspondance-falloux [En ligne], Seconde République, Années 1848-1851, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1850,mis à jour le : 16/07/2022