CECI n'est pas EXECUTE 20 décembre 1853

Année 1853 |

20 décembre 1853

Edmond de Talleyrand-Perigord à Alfred de Falloux

Auteuil, ce 20 décembre 1853

Mon bien cher comte,

La messe de mardi que l’almanach décerne un 20 décembre, me rappelle qu’au jour de même dénomination de la semaine dernière, je quittais un lieu où j’aurais beau remuer de la terre, planter des arbres, amonceler les pierres, entasser des fleurs parviendrait jamais à distraire vos hôtes du charme qu’exerce votre famille, et vos sentiments affectueux qui précipitent vers vous ceux qui vous approchent. Si je suis bref à vous exprimer ma reconnaissance pour votre bon accueil et pour l’indulgente bonté de Madame de Falloux, croyez qu’elle n’en est ni moins réelle ni moins désireuse de se manifester. À mon passage à Orléans, j’ai transmis à ma sœur1 tous les bons souvenirs que j’avais pour elle du Bourg d’Iré. Je l’ai trouvé assez bien de santé. Ici, bien qu’à la campagne, les échos de Paris parviennent plus aisément.

La retraite de lord Palmerston2 prévaut beaucoup. Il paraît que la fusion a produit un grand effet en Angleterre et en Belgique. Il ne serait pas impossible qu’elle ait eu quelque influence sur la retraite de ce ministre agitateur auquel le Moniteur français a adressé des respects assez significatifs. Malgré le motif donné à la retraite, ne pourrait pas supposer que : la nouvelle de la déclaration de guerre de la Perse à la Turquie, arriverait au moment où l’affaire de Sinope3 offrait un prétexte d’intervention plus directe, , il y aura eu dans le mystère anglais scission. La majorité pensant que la guerre avec la Russie allait entraîner non pas seulement une lutte contre cette puissance mais en outre l’obligation de soutenir le gouvernement Turque contre des déchirements intérieurs, tout à la manifester en Europe, et à voir d’importantes révoltes ensanglanter l’Inde entière, la majorité dis-je a pu incliner à adopter une énergique volonté de terminer cette dangereuse question d’Orient par une pression sérieuse sur la pour la rendre pacifique. Lord Palmerston au contraire, aura persisté dans les opinions de guerre déclarée contre la Russie. Lié avec le gouvernement de notre E[mpereur]4. il aura préféré sortir du cabinet pour retrouver bientôt une position plus forte et plus prédominante qui lui permet de satisfaire ses passions.

Peut-être la police (considérée en Angleterre comme une manifestation d’une force sérieuse et menaçante contre le gouvernement actuel de la France) aura rendu les collègues de Lord Palmerston moins confiants dans leur alliance avec le gouvernement français.

À Paris on crie beaucoup et ceux qui crient blâment. Comme en général il y a que les nullités qui ébranlent l’atmosphère dans les temps calmes, je suppose que ce sont les pointus des deux parties qui manifestent ainsi leur importance . Ils ont beau dire la fusion restera toujours au moins ce qu’une femme d’esprit qualifiait l’autre jour d’une Assurance contre l’incendie. Et c’est bien quelque chose pour notre patrie.

On dit les rouges forts jubilant de la fusion, je m’explique mal leur joie à moins qu’ils n’y voient un danger plus sérieux pour la dynastie des Bonaparte. Je crois qu’ils auraient tort de se réjouir, car vous savez, à mon sens, la fusion n’est pas un danger pour l’Empereur actuel elle n’est qu’ un précieux en-cas, et une bonne action de famille.

Le ménage du prince de Brabant5 marche tout de travers. Il se dit que la princesse a parmi ses qualités d’être: impérieuse, sans bon sens, et sans éducation tout cela est peu salutaire à l’avenir d’une monarchie, surtout quand on avoisine des gouvernements que la gloire des armes peut si bien servir.

On cite parmi les sénateurs devant être prochainement nommé, Monsieur de La Rochelanbert6 (il paraît qu’on lui refuse cette dignité malgré ses instances) de La Rochefoucauld-Doudeauville7 (ses enfants font, dit-on, leur possible pour l’empêcher d’accepter), duc de Clermont Tonnerre8, Dupin, et de Valmy (lequel dit-on a démenti le fait).

Cela fait beaucoup causer et cela se comprend aisément. Vous aurez su la mort inattendue du prince de Robecq9. On dit qu’au milieu de beaucoup d’excentricités il avait des qualités réelles. On m’assure que l’impératrice ne saurait avoir d’enfant. Ces nouvelles-là trouvent en moi peu de créance.

Adieu, mon cher comte, veuillez offrir à Mademoiselle Loyde les plus amicaux hommages et mettre mon respectueux dévouement aux pieds de Madame de Falloux. Pour vous, mon cher comte, laissez-moi vous serrer bien amicalement la main et vous demander de me garder toujours quelque peu de votre précieuse amitié.

 

 

Duc de Dino (Edmond de Talleyrand-Périgord)

J’ai écrit pour Ch. Al. et je m’enferme aujourd’hui à l’hôtel rue d’Anzin.

S.M. la reine de Suède10 possède un hôtel rue d’Anjou. Dans cet hôtel, elle a loué un appartement à son cousin Monsieur le comte Clary sénateur11 (frère du Général de ce nom) veuf aujourd’hui et dont la femme était une demoiselle de Villeneuve.

1Pauline de Castellane.

2Alors ministre des Affaires étrangères, il avait été un des plus ardents partisans de l’intervention franco-britannique en Crimée afin de contrecarrer l’expansionnisme russe. En désaccord avec le Premier ministre Aberdeen sur des question intérieures, il fit part le 16 décembre de son intention de démissionner.

Henry John Temple, 3ème vicomte de Palmertson (1784-1865), homme d'état anglais, membre du parti whig. Il fut ministre des affaires étrangères à plusieurs reprises (1830-1834 ; 1835-1841 ; 1846-1851). Contraint de démissionner pour avoir reconnu, un peu trop hâtivement, le gouvernement issu du coup d’état du 2 décembre, il fut appelé quelques années plus tard, au poste de Premier Ministre de 1855 à 1858 et de 1859 à sa mort.

 

3La bataille de Sinope qui fait suite à l’intervention des Russes contre la flotte turque du 30 novembre 1853 joua un rôle décisif dans l'entrée en guerre de la France et du Royaume-Uni contre la Russie.

5Louis-Léopold (1835-1909) duc et prince de Brabant, puis roi sous le titre de Léopold II.

6Gabriel-Joseph-Marie, marquis de la Rochelambert-Montfort. (1811-1861).

7Louis François Sosthènes Ier, vicomte de La Rochefoucauld (1785-1864),  homme politique ultraroyaliste français.

8Gaspard, duc de Clermont-Tonnerre (5e, 1842-1865), prince de Clermont-Tonnerre (2e), né le 27 novembre 1779, Paris, décédé le 8 janvier 1865, château de Glisolles, Glisolles, Eure (à l’âge de 85 ans), ministre de la Marine, puis de la Guerre, sous la Restauration.

9Gaston de Montmorency, (1801-1853), 9e prince de Robech et grand d'Espagne de première classe, capitaine de cavalerie, sans alliance7.

 

10Désirée Clary (Marseille, 8 novembre 1777 – Stockholm, 17 décembre 1860), reine de Suède et de Norvège, épouse du roi Charles XIV Jean.

11Clary (1814-1889), François-Jean, comte, sénateur du Second Empire.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «20 décembre 1853», correspondance-falloux [En ligne], CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, Année 1852-1870, Second Empire, Année 1853,mis à jour le : 18/07/2022