Année 1859 |
27 janvier 1859
Louis de Carné à Alfred de Falloux
Mercredi 27 [Janvier 1859]
Votre affectueuse communication, mon cher Falloux, m’impose le devoir d’une confiance réciproque, et je dois vous faire connaître la situation telle que je la vois, en vous laissant faire la part d’illusions très involontaires mais certainement possibles.
Ce que j’avais prévu me semble déjà presque accompli. La candidature du père Lacordaire1 malgré ses intentions déclarées bien loin de fortifier la majorité la sépare d’une manière irrévocable des éléments essentiels pour la former, et de tous les choix qu’elle pourrait faire. Celui-ci commence à apparaître comme plus périlleux. La politique romaine où les journaux font chaque jour intervenir son nom ne tardera pas d’ailleurs à accumuler des obstacles que chacun énumère. En dehors de tout intérêt personnel je crois ceux-ci insurmontables dans une situation aussi brûlante.
Montalembert insiste vivement auprès de moi pour que j’adresse dès demain une lettre de candidature à l’académie. Toutefois comme je ne vois pas d’urgence, j’attendrai probablement Monsieur Guizot, avec lequel j’ai rendez-vous pour vendredi. Sainte-Beuve2 d’après lequel aucune élection académique n’aurait jamais été plus sûre et plus facile que la mienne sans la soudaine intervention du capricieux personnage qui affecte la dictature de l’académie déclare d’ailleurs l’élection du père Lacordaire impossible en se refusant à croire qu’on ait de l’autre côté de l’académie la malhabileté [sic] de la tenter. Il m’a été facile de voir sans le pousser, que son moyen pour l’empêcher était un choix neutre qui réunirait les éléments et voltairiens de la majorité. C’est ainsi qu’au lieu du père Lacordaire on se trouverait accoucher de Monsieur Victor Leclerc. C’est une vengeance que je ne souhaite pas.
Voilà mon bulletin mon cher Falloux, prenez-le bien entendu ad référendum, observez vous-même et redressez-moi. À vous de cœur.
Louis Carné
Quelques évêques préparent dit-on le mandement de couleur neutre contre la brochure.
1Lacordaire sera élu le 2 février 1860.
2Sainte-Beuve, Charles-Augustin (1804-1869), poète, romancier et critique littéraire. Auteur prolifique, célèbre pour ses Causeries du Lundi et ses Nouveaux Lundis, véritable monument de critique littéraire, familier du salon de la princesse Mathilde, membre de l'Académie depuis 1844, il y était le chef du parti gouvernemental et anticlérical.
