Année 1861 |
26 avril 1861
Charles de Lacombe à Alfred de Falloux
Paris, le 26 avril 1861
Cher Monsieur,
Je suis très préoccupé de savoir quand vous viendrez à Paris, et je voudrais bien que ce fût, non pas dans le courant du mois de mai, comme vous me l'écrivez, mais au commencement. Je ne puis retarder mon départ au-delà du 8 ou 9 et j'aurais un vrai crève-cœur de penser que vous arriviez à Paris, quelques jours après que je l'aurais quitté. D'autant plus que je n'ose espérer que vous alliez, cette année à Royat1. Le mauvais hiver que vous venez de passer vous aura, je le crains, détourner de ce voyage si peu profitable, et je ne sais plus dès lors à quel moment je vous verrais. Cette lettre est interrompue par la visite du prince Galitzin, qui me dit que vous viendrez probablement aux premiers jours de mai ; voilà qui comblerait mes vœux. J'ai vu dimanche soir Monsieur Thiers qui, sur la question que je lui ai faite, m'a dit qu'il avait reçu de vous une bien bonne lettre, De tous les points de la France il lui en vient des félicitations et des remerciements, la plupart de nos cardinaux archevêques de Paris, des membres du clergé, des professeurs de séminaire, des avocats lui ont écrit. Il parait particulièrement sensible aux témoignages des catholiques, et à la manière dont ils acceptent son plan de défense. Je ne doute pas qu'il ne s'engage de plus en plus dans cette excellente voie, et je désire que les bons procédés des catholiques contribuent autant à les maintenir que les attaques de leurs adversaires. On ne peut pas demander que le pape lui adresse lui même aucun remerciement. Mais si quelque signe de reconnaissance pouvait lui venir des entours pontificaux, ce serait très opportun ; j'ai écrit à notre ami de Rome pour qu'il se mit lui-même en évidence. Vous savez que le nonce2 est venu place Saint-Georges3. En revanche la consigne officielle est de dire que Monsieur Thiers n'a produit aucun effet et que tout le succès a été pour nous contrer. Le propos n'est pas dangereux. J'espère au contraire que l'effet de cet admirable discours ne se bornera pas au sujet qui l'a provoqué et qu'en rapprochant de plus en plus Monsieur Thiers de la vérité religieuse, il apprendra à bon nombre de ceux qui le félicitent aujourd’hui, l'esprit de modération et de conciliation. Appelé à parler dans le même départ pour les libertés nécessaires et pour le pouvoir temporel, il se trouve par une singulière et glorieuse fortune être le trait d'union entre les libéraux honnêtes et les catholiques sensés; ce n'est pas pour lui, je l'avoue que j'aurais rêvé ce beau rôle ou plutôt je n'aurais pas voulu le lui voir exclusivement réservé. Mais je me flatte que le résultat sera bon pour tout le monde, et que la hauteur d'une telle mission achèvera de mettre ce rare esprit au rang pour lequel il est fait.
J'ai vu tout à l'heure Monsieur de Cumont toujours plein de force et de courage malgré les épreuves qu'on lui prodigue. Comme il ferait bien à la tête d'un journal de Paris ! Je me suis souvent dit que s'il était possible il représenterait noblement l'Anjou au corps législatif, et qu'il nous consolerait, mieux que votre successeur dont je n'oublie pourtant pas le dernier vote, de ne pas vous y voir.
À bientôt, cher Monsieur, j'aime à me persuader que la semaine prochaine, ne se passera pas sans que je ne vous ai vu. Veuillez être notre interprète auprès de Madame de Caradeuc et de Madame de Falloux, et croyez à mon profond attachement.
Charles Lacombe
Mon frère4 part le 1er mai.
1Station thermale du Puy-de-Dôme où Falloux se rendit à plusieurs reprises pour soigner sa névralgie.
2Mgr Carlo Sacconi (1808-1889), prélat italien, nonce à Paris depuis 1853. Membre de la curie romaine, il fut nommé archevêque titulaire de Nicée et nonce apostolique en Bavière en 1851, puis en France de 1853 à 1860.
3Domicile parisien d’Adolphe Thiers.
