Année 1870 |
29 juin 1870
Madeleine de Montalembert à Alfred de Falloux
Guigniont par Boix Terron Ardennes, ce 29 juin 1870
Cher Monsieur de Falloux.
Maman1 me charge de vous écrire sa place et je suis bien heureuse d’une telle commission. Elle aurait extrêmement désiré vous écrire elle-même et répondre à la lettre que vous avez bien voulu lui adresser à Paris mais malheureusement elle a tant de choses à faire. Ainsi veut-elle que je vous donne de nouvelles en attendant à cause de l’affection si gde avec laquelle vous voulez bien nous en demander et afin d’en obtenir auprès des vôtres. J’ai vu avec tant de chagrin par la lettre de Loyde que j’ai reçu le jour de mon arrivée ici (chez ma tante de Wignacourt2) que vous aviez eu de violentes crises depuis notre départ ! Cela nous a donné de grands remords parce que nous ne pouvons nous empêcher de penser que peut-être notre présence a été l’occasion de fatigue plus grande que d’ordinaire pour vous. C’est vraiment terrible à penser ! J’espère que Loyde est maintenant en Suisse et jouit beaucoup de son voyage. Si elle le veut bien je lui écrirai certainement encore à son retour et j’espère qu’elle aura la bonté de me donner encore une fois des nouvelles de vous, de Madame Falloux et d’elle, et de leur voyage qui m’intéresse extrêmement.
Figurez-vous que maman est restée à Paris toute seule jusqu’à lundi dernier ! N’est-ce pas que c’est bien horrible de toujours m’envoyer loin d’elle sous prétexte d’épidémie ? Je ne sais plus quel saint invoquer contre ces désolantes raisons de toujours quitter maman. Quand elle est arrivée ici lundi je me réjouissais tant de la tenir enfin ! Et maintenant voilà que je dois repartir pour aller passer ce mois-ci chez ma sœur Élisabeth3 en attendant que maman vienne avec Thérèse4 au 1er août, au lieu de rester avec elle à Paris. C’est aussi triste que possible et cette année-ci tellement plus que jamais. Cependant il faut que maman soit encore à Paris pendant une partie de juillet au moins. D’abord pour le buste5 qui, grâce à ses indications réitérées devient très ressemblant. Jugez quel bonheur ce sera si nous obtenons quelque chose de bien de mon cher adoré père nous qui n’avons pas même une bonne photographie et ensuite maman doit aussi revoir l’oculiste pour ses pauvres yeux qui vont heureusement un peu mieux depuis qu’elle suit les indications mais qui ont encore tellement besoin de soins.
Nous avons vu avec grand chagrin dans l’Univers tout ce qui a été rapporté des discours de Mgr Freppel, car cela doit vous ôter tout espoir dans votre évêque ! Maman me charge de vous dire combien elle en est désolée en pensant à vous.
Je dois vraiment vous demander mille fois pardon de cette longue lettre tellement peu intéressante. Vous devez trouver que le séjour au Bourg d’Iré m’a donné une très grande confiance dans votre indulgence. Je voudrais seulement être capable de vous exprimer quel souvenir aura laissé et tout ce que je voudrais donner pour en voir recommencer un du même genre. Mais j’espère toujours !...et surtout j’espère que je vous prouverai l’extrême fausseté de vos soupçons à mon égard ! Thérèse n’est malheureusement pas ici et sans cela elle me chargerait certainement de sa reconnaissance pour dont vous m’aviez chargé pour elle. J’espère que je vous reverrais en passant à Paris dimanche car nous quittons les Ardennes après-demain. J’espère surtout que vous voulez bien croire aujourd’hui comme toujours à mes sentiments les plus respectueux et plus reconnaissants d’attachement pour vous et chacun des vôtres.
Madeleine de Montalembert
1Marie-Anne Henriette dite Anna de Montalembert, née de Mérode (1818-1904), veuve de Charles de Montalembert avec qui elle s'était mariée en 1836.
2Sans doute Marie de Wignacourt née de Mérode (1817-1909).
3Élisabeth de Meaux, (1837-1913), fille aînée de Charles de Montalembert et de Marie-Anne de Mérode (1818-1904), elle avait épousé, en 1858, Camille de Meaux.
4Thérèse de Montalembert (1856-1924), fille cadette de Mme de Montalembert, née de Mérode (1818-1904).
5Le buste de Charles de Montalembert.
