CECI n'est pas EXECUTE 8 avril 1871

1871 |

8 avril 1871

Madeleine de Meaux à Marie de Falloux

Rixensart1, ce 8 avril 1871

Chère Madame, Maman2 et moi trouvons le temps bien long depuis que nous n’avons pas de nouvelles. Plus les évènements qui le remplissent sont cruels plus on sent le regret d’être si éloigné, si séparé par une grande distance de ceux avec qui on voudrait être pour les supporter et dans la présence et les paroles desquels on puiserait plus de courage ! Malheureusement rien ne tend à ce rapprochement dont nous avons soif. Maman pense moins que jamais à nous ramener en France et la perspective d’endurer pendant des mois encore et toujours loin d’elle les amertumes sans limites qui viennent l’assaillir pèse quelquefois d’un poids vraiment intolérable sur nos tristes cœurs. Nous ne pouvons nous empêcher d’être inquiets pour M. de Falloux si souvent brisé physiquement autant que moralement à force de souffrir, que doit être sa pauvre tête si souffrante déjà en temps ordinaire ! Chère, chère Madame je vous en prie écrivez-nous si ce n’est pas très indiscret de vous le demander et dites-nous comment M. de Falloux, vous-même et la chère Loyde avez passés ces derniers mois ? Chaque jour Maman s’attriste de ne pouvoir vous demander directement de vos nouvelles, mais elle s’est horriblement fatiguée cet hiver en entreprenant avec l’énergie et l’ardeur passionnée que vous lui connaissez de seconder l’action de plusieurs comités formés ici et à Londres pour venir au secours de nos malheureuses provinces ravagées. Elle a voulu employer le nom et les relations nombreuses de mon bien aimé Père3 à l’étranger pour obtenir secours et avec la consolation de réussir très bien aux Etats-Unis surtout mais ses yeux fatigués depuis bien longtemps ont beaucoup souffert de cette correspondance si étendue et maintenant le médecin lui interdit presqu’absolument d’écrire. Je fais tout ce que je peux sans réussir toujours pour l’engager à suivre cette prescription et c’est ainsi que j’ai obtenu la grande joie de la remplacer encore aujourd’hui auprès de vous.

Avez-vous reçu dernièrement de nouvelles des Cochin ? Dans une lettre assez récente pour Maman Mme Cochin4 semblait croire que son mari retournerait prochainement à Paris. Cette idée m’inquiète beaucoup, car M. Cochin est si évidemment au premier rang parmi ceux que rechercheront les brigands qui gouvernent actuellement notre malheureuse ville, ce pauvre Paris. La mesure de ses iniquités semble vraiment comblé et l’on ne peut s’empêcher de finir par croire aux nombreuses prophéties que prédisent parents et amis, et cette pauvre assemblée du reste. Nous avons très bien compris que M. de Falloux ne comptait pas accepter une candidature, mais comment nous empêcher de regretter le plus amèrement chaque jour, son absence au sein de cette chambre qui aurait tant besoin de sa direction, de ses conseils, de son expérience surtout ! C’est une tristesse de plus de voir sa place vide dans des jours comme ceux-ci au milieu de difficultés aussi inouïes que ceux sur lesquels tombe la terrible tâche de gouverner la pauvre patrie déchirée. Adieu, chère Madame, si vous avez la grande bonté de me répondre voudriez-vous adresser votre lettre : chez Mme la comtesse de Thiennes, Hôtel de Thienne à Bruxelles. Nous devons aller faire un séjour de quelques semaines chez cette bonne grande tante qui me réclame depuis longtemps et à laquelle nous ne pouvons refuser plus longtemps l’accomplissement de son désir malgré celui très vif que nous aurions de rester dans la solitude de Rixensart.

Je vous embrasse.

Offrez nos hommages à Mme de Caradeuc. Votre dévouée Mad.

 

1Commune de Belgique, où se situe la résidence des Mérode.

2Marie-Anne Henriette dite Anna de Montalembert, née de Mérode (1818-1904), veuve de Charles de Montalembert avec qui elle s'était mariée en 1836.

4Adeline Alexandrine Marie Cochin née Benoist d'Azy (1830-1892), veuve d'Augustin Cochin.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «8 avril 1871», correspondance-falloux [En ligne], 1871, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, Troisième République,mis à jour le : 22/09/2022