CECI n'est pas EXECUTE 20 décembre 1871

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20 décembre 1871

Léopold de Gaillard à Alfred de Falloux

Le Correspondant1, 20 décembre 1871

Cher Monsieur de Falloux,

Je reviens de chez mon voisin M. Pingard2 à qui j’ai posé les questions les plus précises à l’endroit de M. Autran3. Il n’est pas à Paris, et n’annonce pas son arrivée. Quand il vient, il descend hôtel de Rohan, rue de Rivoli, à moins de maladie, ce qui est trop souvent le cas pour lui aussi. Je m’étonnerai qu’il laissa faire sans lui les quatre élections du 28. Ce sera, je crois, un vrai scrutin de liste avec ses hasards et ses mélanges. Le public s’en apercevra peu parce qu’il est ailleurs, mais l’académie pourrait bien avoir à s’en plaindre. La nomination de Messieurs Littré4 et About5 serait un honteux démenti à tout ce qui s’est fait là de bon, d’honnête et de noble depuis 20 ans. Madame Lenormant6 que je viens de voir aussi croit que l’auteur du dictionnaire est un candidat forcé et que notre évêque7 lui-même s’y résigne. Mais elle espère bien que le conteur scandaleux des Mariages de Paris ne sera pas nommé contre l’historien de Beaumarchais et des Mirabeau. C’est le fauteruil de Mérimée qu’ils vont se disputer. Pontmartin8, m’assure-t-on, y avait songé, mais il ne m’en a pas écrit un traître mot et comptait, paraît-il, sur Autran pour sonder la passe et le héler à son bord. Il est encore aux Angles9 en grand deuil et en mauvaise santé et ne doit pas se montrer ici avant février. M. de Loménie10 reste donc le seul candidat de nos amis, contre M. About qu’on assure être le candidat de M. Thiers. Ce qui m’enchante en tout cela c’est de voir la mémoire de notre pauvre Montalembert confiée au duc d’Aumale11. Je doute qu’il parvienne à le remettre sur son piédestal à Rome, mais il le classera définitivement dans la galerie des grands libéraux de notre temps. Ne trouvez-vous pas, cher Monsieur, que nos amis de Versailles, retour de Lucerne12, viennent de faire une de ces fautes qui peuvent perdre une situation ? Ils ont voté avec la gauche contre les Princes13. Les amis des Princes ont voté avec la gauche pour rentrer à Paris et peut-être pour la République définitive. Ah ! si elle devait être vraiment définitive, quel heureux débarras ! En attendant la majorité, notre seul espoir depuis huit mois, est divisée et va au-devant d’une inévitable et prochaine dissolution : la dissolution par impuissant. Que vous nous manquez à Versailles et dans tout ce pauvre parti royaliste qui n’a de chef ni à la chambre ni à l’étranger ! Je ne fais plus de politique que par devoir et par goût de la lutte. L’espoir est mort. Je vous demande plus qu’à personne de m’encourager, de me conseiller, de me répondre. Ce sera décupler les sentiments de reconnaissance et d’affection que je vous ai depuis longtemps voués.

Léopold de Gaillard

1Léopold de Gaillard est alors le rédacteur en chef de la revue.

2Antonius Pingard (1797-1885), chef du Secrétariat de l’Académie des inscriptions et belles Lettres.

3Autran, Joseph (1813-1877), poète français. Plusieurs fois candidat à l’Académie française, il était soutenu par les catholiques, son ami V. de Laprade, Thiers et Mignet mais combattu par Guizot et les libéraux, le Journal des Débats et la Revue des Deux-Mondes. Contraint de se retirer devant Octave Feuillet en 1862, il avait néanmoins été élu le 7 mai 1868, en même temps que Claude Bernard.

4Émile Maximilien Paul Littré (1801-1881), lexicographe, philosophe et homme politique. Célèbre pour son Dictionnaire de la langue française, sa candidature en 1963 fut âprement combattue par Mgr Dupanloup qui lui reprochait son athéisme. Il sera néanmoins élu le 30 décembre 1871, ce qui avait amener Mgr Dupanloup à donner sa démission en signe de protestation.

5Edmond About (1828-1885), journaliste et critique d’art, auteur de Le Roi des montagnes (1857) et de L’Homme à l’oreille coupée (1864). Polémiste anticlérical, il s'était porté candidat à l'Académie française. Battu à deux reprises, la première fois contre A. de Broglie, puis contre le comte de Pongerville, il sera élu le 24 janvier 1884.

6Lenormant Marie-Joséphine dite Amélie Cyvoct (1804-1893), petite nièce et fille adoptive de Mme Récamier. Elle collabora au Correspondant sous le pseudonyme de Léon Arbeau.

7Mgr Dupanloup, qui envisage alors de démissionner de son fauteuil en cas d’élection de Littré, qui ne cache pas son anticléricalisme.

8Pontmartin, Armand Joseph Marie Ferrard comte de (1811-1890), écrivain et critique littéraire français, il publia notamment Les Jeudis de Madame Charbonneau (1862), satire des milieux littéraires, dans laquelle Falloux figurait sous le pseudonyme d’Iphicrate. Montalembert qui aurait souhaité le recruter au Correspondant, était également favorable à son entrée dans l’Académie de même que Falloux apparemment. Mais Pontmartin refusa toujours de faire acte de candidature. D'une famille légitimiste, il fit ses débuts à la Gazette du Midi, puis collabora à La Quotidienne et à La Mode, avant de travailler successivement à la Revue des Deux Mondes, à L'Opinion publique et à la Revue contemporaine et à L'Assemblée nationale.

9Les Angles, par Villeneuve les Avignon (Gard), son domicile.

10Louis de Loménie (1802-1878), essayiste et rédacteur à la Revue des Deux Mondes. Il sera élu le 30 décembre 1871 à l'Académie française.

11Il est alors question de lui confier la lieutenance générale décennale ou à vie de la République.

12Résidence du Comte de Chambord, en Suisse.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «20 décembre 1871», correspondance-falloux [En ligne], 1871, CORRESPONDANCES, Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES,mis à jour le : 09/10/2022