CECI n'est pas EXECUTE 4 janvier 1872

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4 janvier 1872

Madeleine de Montalembert à Marie de Falloux

La Roche en Breny1 4 janvier 1872

Chère Madame,

Maman2 ne veut pas et moi je serais triste aussi qu’il se passe encore de longs mois pour nous sans recevoir aucune de vos chères nouvelles. Pardonnez-moi donc, je vous en prie, de venir déjà vous fatiguer de nouveau de questions à ce sujet après avoir vécu pendant un mois sur votre lettre du 23 novembre, qui nous cause tant de plaisir non seulement à maman et à moi mais à Élisabeth3 et mon beau-frère que nous avions alors auprès de nous. Peut-être ont-ils eu depuis le temps, la satisfaction de voir Monsieur de Falloux lui-même, car ils nous ont quitté au commencement de décembre pour regagner leur établissement provisoire (espérons qu’il ne le sera pas trop!) de Versailles. Mais comme nous n’en sommes pas encore là, nous devons nous contenter d’obtenir quelques nouvelles de loin. Vous savez que nos cœurs sont très rapprochés de vous à travers la grande distance qui semble nous séparer. Maman voudrait être sûre que Monsieur de Falloux ne se fatigue pas outre mesure par son nouveau travail et surtout ne souffre pas trop de sa pauvre tête de tout ce que certains événements doivent lui faire éprouver, l’élection de Monsieur Littré4 par exemple. Après l’admirable et surtout terrible note de l’évêque5, c’est vraiment incompréhensible et trop déshonorant pour l’académie !

Maman ne sait pas encore très bien quand elle pourra retourner à Paris. Mille affaires sont venues l’assaillirent à son retour ici et les premiers jours étaient vraiment si tristes qu’elle n’a pu commencer que très récemment à s’en occuper. Aussi passerons-nous probablement encore tout le mois de janvier ici. Vous voyez que cela s’arrange à merveille que vous ne puissiez nous recevoir, mon plan tout à fait idéal et fictif s’étant si vite évanoui ! Vous êtes bien bonne de vouloir encore dans un printemps et maman me charge de vous redire ce que vous ne devez cependant que trop savoir c’est-à-dire combien une telle visite lui serait douce au-delà de l’expression. Seulement nous devrions être guéri de faire des plans longtemps d’avance après avoir dû traverser aussi cruellement tous ceux que nous avons fait pendant les dernières années.

Nous avons été enterrés sous la neige ici pendant cinq nouvelles semaines, mais elle s’est mise à fondre prestement pour Noël et cette chère fête nous a amené un vrai printemps, qui donne la plus grande envie de rester à La Roche pour n’en plus sortir. Nous avons eu une délicieuse fête de Noël d’ailleurs Fräulein et moi avions arrangé l’église avec de nombreuses guirlande et de lierre, et une foule de lumière et surtout un ravissant enfant Jésus que Maman avait fait venir de Paris et tout s’est réuni jusqu’à la lune la plus brillante du monde pour embellir cette messe de minuit pendant laquelle j’ai eu un seul chagrin, le même toujours hélas, celui de penser que papa6 qui aimait tant la chère fête de Noël ne pourrait plus la passer avec nous une seule fois sur la terre.les gens ici sont devenus un peu meilleur depuis la guerre, notre pasteur qui est le zèle et la ferveur même a constaté avec joie un nombre de communions bien plus considérables que les autres années et la crèche de l’enfant Jésus a été entouré à tous les offices des adorateurs les plus touchés du monde. N’est-ce pas un peu consolant ?

M. Foisset et Mme Oliphant (la traductrice anglaise des Moines7 venue ici pour recueillir quelques notes et préparer une biographie pour l’Angleterre) nous ont quitté il y a plusieurs semaines déjà. Nous sommes toutes seules, maman, Fräulein et moi, nous pensons souvent à tous ceux que nous aimons et qui sont tellement loin, et nos soirées se passent dans la chère bibliothèque où il a l’air de devoir revenir bientôt car tout l’attend et tout parle de lui avec une vivacité sans égale et très consolante. C’est presque comme s’il vivait encore avec nous et faisait seulement un voyage. Nous lisons une foule de choses de lui et sur lui très intéressantes et d’autres choses encore, et le temps, passe tellement vite que c’est désolant. On voudrait faire tant de choses et il n’y a pas moyen.

Au revoir chère chère Madame comment avez-vous trouvé Fleurange8 de Mme Craven? maman l’aime. Savez-vous l’accident affreux qui lui est arrivé à Sigmaringen9 et dont elle a manqué périr ? Quel bonheur que le bon Dieu l’ait tant protégé. Si vous revoyez encore Madame Castellane et M. de Bertou je vous en prie, remerciez les de la part de maman de leur affectueux souvenir et garder s’il vous plaît pour vous avec mille souhaits pour <mot illisible> l’expression de mon affection la plus respectueuse.

Madeleine

Mille tendres choses à Loyde, je vous en prie aussi et mes hommages respectueux pour Madame Caradeuc

 

1La Roche-en-Bresnil (ou Breny), domaine de Charles Montalembert dans le Doubs.

2Marie-Anne Henriette Ghislaine dite Anna de Montalembert (1818-1904), née de Mérode, veuve de Ch. de Montalembert.

3Élisabeth de Meaux née de Montalembert (1837-1913), épouse de Camille de Meaux.

4Émile Maximilien Paul Littré (1801-1881), lexicographe, philosophe et homme politique. Célèbre pour son Dictionnaire de la langue française, sa candidature en 1963 fut âprement combattue par Mgr Dupanloup qui lui reprochait son athéisme. Il sera néanmoins élu le 30 décembre 1871, ce qui avait amené Mgr Dupanloup à donner sa démission en signe de protestation.

5Mgr Dupanloup.

7Ouvrage de Charles de Montalembert, Les Moines d’Occident de St Benoît à St Bernard, 2 t. Lecoffre et Cie, Paris, 1860, 2 t.

8Augustus (Pauline) Craven, Fleurange, Paris, Didier, 1872, 2 t.

9Ville d’Allemagne.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «4 janvier 1872», correspondance-falloux [En ligne], 1872, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, Troisième République,mis à jour le : 13/10/2022