CECI n'est pas EXECUTE 12 janvier 1872

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12 janvier 1872

Ernest de La Rochette à Alfred de Falloux

12 janvier 1872

Mon cher comte,

J’ai reçu votre seconde lettre et je constate que vous ne m’avez pas répondu. Cependant jamais question plus grave n’a été soulevée.

Je vous ai donné ma pensée entière. J’ai été, avec vous, franc, net et sincère. Je vous ai dit comment j’entendais l’union et la réconciliation des hommes de toutes les nuances monarchiques et sur quel terrain je la voulais et l’appelais de tous mes vœux.

Vous avez ma pensée et je n’ai pas la vôtre. Vous écartez la discussion cependant vous n’êtes pas hommes à la craindre si vous croyez avoir la vérité.

Voulez-vous – oui ou non – le duc d’Aumale pour successeur à Monsieur Thiers - non comme président de la république – vous le contestez – mais comme lieutenant général, comme commandant de l’armée ou comme connétable – n’importe quel soit son titre – pourvu qu’il ait la tête du gouvernement ?

Voulez-vous entrer dans la voie de demander à l’assemblée de faire une constitution, de décider le drapeau et d’aller, après, offrir tout cela au comte de Chambord et, s’il refuse, de prendre la famille qui représente la dynastie et l’hérédité ?

C’est la pensée que Monsieur Guizot exprimait, il y a quelques jours à un de mes collègues.

Etes-vous avec Monsieur Guizot dans cette habileté politique qui explique si bien son vote pour Monsieur Littré1 ?

Je vous demande, mon cher ami, de sortir des nuages et de nous dire, au grand jour, toute votre pensée.

Vous me dites qu’il y a dans la révolution des idées bonnes et des idées fausses ; qu’il faut choisir : prendre les bonnes et laisser les fausses.

Voulez-vous me répondre qu’elles [sic] sont les bonnes idées que la Révolution a fait surgir qui ne soient pas écloses dans le mouvement réparateur et libéral de 1789.

Il faut vider tout cela, mon cher ami, librement, franchement, publiquement. Il faut faire de la politique en plein soleil.

Moi je suis prêt et, tout en sentant ma faiblesse en présence d’un adversaire comme vous, je me crois fort parce que je crois avoir avec moi la vérité et les sentiments de mon pays !

En un mot, je vous demande ceci : êtes-vous avec nous ou contre nous ?

Vous exercez, je le reconnais, une très grande influence sur quelques-uns de nos amis, vous la devez à votre intelligence des grandes et courageuses lignes de votre vie politique : mais je déplorerais cette affluence avec tristesse, si vous veniez à vous en servir pour les conduire dans l’erreur, après les avoir conduit si souvent dans la vérité.

Vous comprenez que de telles questions ne se traitent pas dans des soirées et dans des causeries intimes. Il faut qu’elle laisse des traces qui soient moins fugitives que des souvenirs.

Recevez, mon cher ami, l’assurance de toute mon affection.

De La Rochette

1Émile Maximilien Paul Littré (1801-1881), lexicographe, philosophe et homme politique. Célèbre pour son Dictionnaire de la langue française, sa candidature en 1963 fut âprement combattue par Mgr Dupanloup qui lui reprochait son athéisme. Il sera néanmoins élu le 30 décembre 1871, ce qui avait amener Mgr Dupanloup à donner sa démission en signe de protestation.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «12 janvier 1872», correspondance-falloux [En ligne], 1872, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, Troisième République,mis à jour le : 19/10/2022