CECI n'est pas EXECUTE 28 juin 1872

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28 juin 1872

Elie de Gontaut-Biron à Alfred de Falloux

Ambassade de France en Allemagne, Berlin le 28 juin 1872

Comme je suis touché de votre souvenir mon très cher ami ! Vous me jugez avec beaucoup trop de bienveillance, je le sens, et je ne mérite pas les éloges que de trop bons amis – Madame de Castellane en tête – vous ont fait de moi – et pourtant je ne puis rien que des paroles telles que les vôtres soient au moins un encouragement dans l’exil où je vis et au milieu de sacrifices que mon existence actuelle m’impose chaque jour. Je n’ai point au fond le droit de me plaindre, car d’une part j’ai trouvé généralement dans le ministre officiel de Berlin dans la société de la part du corps diplomatique après obligeant accueil, et nul autre parce que la besogne de nos amis à Versailles ne me paraît pas moins douloureuse et moins difficile que la mienne ici. Que souhaiter parmi les choses possibles ? en vérité je serais bien embarrassé de le dire. Je ne reçois que rarement des lettres de Versailles à mon grand regret, et tous ceux de qui j’en puis désirer, Albert1, Kerdrel, Lacombe2, de Meaux etc etc. sont si occupés que je mets de la discrétion à les réclamer. Et cependant j’aurais besoin de savoir exactement quels sont les mobiles qui ont fait agir la droite dans les dernières circonstances, le but que mes amis se proposèrent et la suite qu’ils désiraient donner à leur démarche. Il me semble que j’aurais fait comme eux si j’avais été à Paris : et de Berlin je ne leur aurais pas conseillé de faire ce qu’ils ont fait. Ici en effet on suit très attentivement les agitations de l’assemblée sans en pénétrer peut-être tous les motifs. On ne voit que la négociation pour les anticipations de paiement, la libération du territoire, et on s’étonne que la droite ait choisi ce moment même pour constater la division qui existe entre elle et le pouvoir exécutif et par la même l’élargir. On donne raison à Monsieur Thiers : lui seul, oui à peu près, est connu : de plus il est le syndic de la faillite et on trouve mauvais tout ce qui tend à ébranler sa position. Vous comprenez que sur ce point je ne peux qu’être assez réservé. Je me permets de dire cependant qu’il était assez difficile à la droite, si elle est convaincue que Monsieur Thiers s’avance dans une voie fâcheuse, de différer ses observations puisque l’assemblée va se séparer prochainement, qu’au surplus ce ne sont pas les dissentiments entre la droite et Monsieur Thiers qui peuvent inquiéter les étrangers au point de vue de la tranquillité intérieure et de votre crédit ; et il en serait tout autrement si le débat était entre Monsieur Thiers et la gauche. Pour moi, personnellement, je suis assez ému de la démission de Larcy3 : depuis que je l’ai apprise, je me suis demandé ce que je devais faire… et je regrette dans cette circonstance plus que dans tout autre de n’être pas auprès de vous et des miens pour prendre conseil.

Nos négociations avancent plus vite qu’on ne l’aurait cru, et elles sont en assez bonne voie. Tant qu’elles ne sont pas terminées et avec l’opinion de Berlin que je vous ai fait connaître je ne crois pas devoir prendre de parti ; plus tard, ce sera autre chose : à mon retour en France, je pourrais juger de la situation, bien plus qu’il ne m’est possible de le faire d’ici. Ceci ne m’empêche pas de regretter la marche du gouvernement : je ne le lui ai pas laissé ignorer.

Ce serait une vraie joie pour moi, cher ami de vous revoir bientôt j’espère en trouver l’occasion au moins à Rochecotte. Pauvre Madame Cochin 4! Comme je la comprends ! Combien j’entre dans sa douleur et dans toutes ses sollicitudes. J’ai passé par cette voie j’en suis encore !...hélas ! Je ne voudrais pas lui dire que bien souvent je suis sur le point de succomber !…

Elle a du reste une grande <mot illisible< d ‘âme et elle est assistée certainement d’en haut. Sans ce secours, Grand Dieu, que pourrions-nous faire !! j’ai fait vos très aimables commissions aux Radziwill5 et elles ont été reçues comme elle devait l’être. Elle est en France et sûrement vous la verrez cet été. Mon séjour en russe a redoublé mon estime et mon affection pour eux. Elle vous parle de la triste situation religieuse de ce pays,. A démontré chers amis, merci mille fois encore de votre bon souvenir. Renouvelez le de temps en temps, je vous en prie, mais en me parlant de votre santé ce que vous ne faites pas ni en ce qui vous concerne ni en ce qui touche Mme et Mademoiselle de Falloux. Adieu et croyez à ma plus tendre affection.

Gontaut-Biron Elie de

2Les frères de Lacombe, Hilaire et Charles.

3Représentant légitimiste au sein du gouvernement de Thiers, Roger de Larcy y occupait le ministère des Travaux publics. Ayant donné une première fois sa démission, le 28 août 1871, lors de la discussion de la proposition Rivet qui prévoyait de proroger pour trois ans les pouvoirs exercés par Thiers sous le titre de Président de la République. Sous les instances de Thiers, il était néanmoins revenu sur sa démission. Mais, ne parvenant pas à obtenir de Thiers qu'il suive une orientation gouvernementale conforme aux vues de ses amis de la droite, il remit définitivement sa démission le 30 novembre 1872.

4Elle venait de perdre son époux, Augustin Cochin décédé le 15 mars 1872.

5Frédéric-Guillaume-Antoie, prince Radziwill (1833-1904), militaire prussien, époux de Marie Dorothée Élisabeth Radziwill, princesse (1840-1915), née de Castellane, fille de Pauline de Castellane,


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «28 juin 1872», correspondance-falloux [En ligne], 1872, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, Troisième République,mis à jour le : 20/10/2022