CECI n'est pas EXECUTE 29 octobre 1873

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29 octobre 1873

Louis de Carné à Alfred de Falloux

Paris, 29 octobre [1873]1

Je vais, mon cher ami, m’efforcer de vous renseigner le moins mal possible sur une situation académique dont la physionomie véritable vous échappera d’ailleurs tant que vous ne viendrez pas l’étudier vous-même ici, où je vous attends avec une véritable impatience. La triple élection aura lieu le 28 janvier elle sera précédée 15 jours avant de la discussion du titre ; j’attends l’assurance de votre arrivée pour cette discussion d’une importance sérieuse à tous les points de vue où il me serait très pénible de m’engager moi-même vivement en rencontrant en face de moi M. Guizot auquel j’ai dit en tête à tête de sévères vérités que je n’aimerais pas à répéter en séance publique. Ma conversation l’a laissé troublé mais nullement hésitant et l’élection de M. Taine reste pour lui une sorte de gageure que j’espère bien le voir perdre. Son échec est inévitable si en faisant abstraction de toutes mes préférences personnelles nous portons contre M. Taine2 le candidat qui réunira le plus de voix étrangères aux nôtres. MM. Blaze de Bury3, Mézières4 et Charles Blanc5 ardemment soutenu par Thiers et ses amis font en ce moment cette campagne là, dans l’espérance de nous rallier au second tour. Mon avis serait après un vote d’estime personnelle donné à Anatole de Ségur de nous rejeter sur M. Blaze de Bury qui a le concours de la Revue des deux mondes.

L’élection Alexandre Dumas6 est à peu près faite. M. Guizot qui n’en voulait pas ayant promis son concours dans le péril qu’il commence à entrevoir. J’incline pour mon compte à donner sur le fauteuil réservé d’un commun accord à la littérature populaire une première voix à notre compatriote Paul Feval7.

Un troisième fauteuil sera fort disputé entre MM. Boissier8, Mézières, Weiss9, <plusieurs mots illisibles>, chaque matin l’on m’annonce un nouveau concurrent.

Je suis heureux de l’approbation que vous donnez à mon travail sur Lamartine10 que je n’ai nullement prétendu blâmer la constituante de 1848 que je mets beaucoup plus haut que celle-ci dans mon estime politique. Mais ceci me placerait sur un terrain que vous avez évité et que je n’aborde pas davantage.

Adieu, mon cher ami, arrivez-nous le plus promptement possible. J’en serai bien heureux.

L. de Carné

 

1L’année nous est donnée par l’allusion à la triple élection académique du 28 janvier 1874.

2H. Taine (1828-1893), historien auteur de plusieurs ouvrages avait été candidat, soutenu notamment par F. Guizot, à l’Académie française au scrutin du 29 janvier 1874. Il sera battu et c’est le philosophe Elme Caro qui l’emporta.

3Blaze, Ange-Henri-Castil, baron de Bury (1813-1888), écrivain, poète, dramaturge, critique littéraire et compositeur.

4Alfred Jean François Mézières (1826-1915), historien et homme politique. Professeur de littérature étrangère à la Sorbonne, il avait été élu le 29 janvier 1874 en remplacement de Saint-Marc Girardin et sera reçut le 17 décembre 1874 par Camille Rousset. Candidat en 1881 sur une liste de l'Union démocratique en Meurthe-et-Moselle, il sera élu. Réélu, par ce même département en 1885, il rejoindra l'Union républicaine.

5Charles Blanc (1813-1882), critique d'art, il devint rédacteur en chef de la Gazette des Beaux-Arts et fut nommé directeur des Beaux-Arts de 1848 à 1852 et de 1870 à 1873. Frère de l'homme politique et historien Louis Blanc, il entra à l'Académie le 8 juin 1876 en remplacement de Louis de Carné. Parmi ses importants ouvrages mentionnons son  Histoire des peintres français au XIXe siècle.

6Alexandre Dumas fils (1824-1895), auteur dramatique et romancier. Auteur de plusieurs romans dont La Dame aux Camélias (1848).Il sera élu à l’Académie française le 29 janvier 1874 en remplacement de Pierre-Antoine Lebrun.

7Paul Féval (1816-1887), écrivain. Il fut candidat à l’Académie française à deux reprises mais en vain.

8Professeur au Collège de France, Gaston Boissier est alors candidat à l'Académie française. Boissier Gaston (1823-1908), historien et philologue français. Normalien, il est alors professeur au Collège de France où il est titulaire de la chaire de poésie latine depuis 1869 et dont il deviendra administrateur de 1892 à 1894. Collaborateur de la Revue des Deux Mondes, il est alors candidat à l’Académie française. Battu, il se représentera. Élu en 1876 à l'Académie française il en deviendra, en 1895, le secrétaire perpétuel.

9Weiss, Jean-Jacques (1827-1891), professeur, journaliste politique et littéraire, fondateur du Journal de Paris, conseiller d’état de 1871 à 1879.

10Marie-Louis-Alphonse de Prat de Lamartine (1790-1869). Poète, écrivain et homme politique. Entré comme légitimiste à la chambre des députés sous la Monarchie de Juillet, il s'était très vite rallié à la république. Il œuvra en faveur d'un gouvernement provisoire dont il fut l'un des personnages les plus importants avant de perdre très vite sa popularité.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «29 octobre 1873», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1873,mis à jour le : 31/10/2022