CECI n'est pas EXECUTE 17 mars 1874

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17 mars 1874

Louis de Loménie à Alfreed de Falloux

Paris, ce 17 mars 1874

Très cher et illustre confrère,

Avant de répondre à votre lettre du 14, j’ai voulu savoir si j’étais de la commission chargée d’examiner l’ouvrage auquel vous vous intéressez, il paraît que j’en suis. Je tacherai donc de me faire attribuer l’examen de cet ouvrage dont j’ai déjà entendu dire beaucoup de bien, et comme je connais un peu le sujet, j’espère que mon apport pourra déterminer la commission à l’appuyer auprès de l’académie.

J’aurai bien des choses à dire sur le dernier incident académique, mais cela serait trop long et d’ailleurs, c’est maintenant de l’histoire ancienne. J’ai pu constater dans cette occasion combien les corps sont sujets à signer avec précipitation uniquement occupé d’obéir à la difficulté du jour sans songer aux inconvénients du lendemain. Ce qui est certain c’est qu’en singularisant si lestement, l’incartade de la publication des deux discours non prononcés, nous avons compromis à la fois l’auteur de l’Académie sur les discours de ses membres et un des articles les plus importants de notre règlement qui établit que la réception publique est le complément indispensable de la qualité d’académicien.

Dans la dépossession de jeudi dernier j’ai seul essayé de faire remarquer qu’on allait créer un précédent peut-être dangereux pour l’avenir et qu’il serait au moins utile de chercher à concilier la décision qu’on voulait prendre, avec les prescriptions du règlement, On a écarté ma proposition en me disant que le billet d’indemnité accordé à Monsieur Ollivier1 ne créait pas de précédent, Le tout parce qu’on était pressé de faire cesser les commentaires des journaux à ce sujet. Le groupe bonapartiste vaincu par l’ajournement a pris sa revanche après la publication du discours ; il est assidu à l’académie, tout ceux qui en font partie s’entendent et agissent de concert, les autres groupes sont désunis et isolés. Je ne serais pas étonné, si ceux qui comme vous pourrez utilement s’y opposer, n’y prennent garde, Que l’élément bonapartiste ne devint bientôt tout à fait prépondérant. Nos dernières acquisitions ne sont pas rassurantes sous ce rapport et sauf Mézières2 que je crois solide ; depuis le successeur du père Gratry, jusqu’à celui de Vitet, tous les nouveaux sont bonapartistes. Veuillez donc, cher et illustre confrère, vous préoccuper un peu de cette perspective dans les choix que vous aurez à faire pour l’avenir. Il y a déjà bien longtemps que je déplore qu’un homme qui avait reçu comme vous de la providence trois dons si rarement unis celui de la sagacité, celui de l’énergie morale et celui de la séduction se trouve depuis tant d’années sans action directe sur les destinées de son pays, mais si votre santé est peut-être un obstacle funeste mais insurmontable à votre participation active aux affaires du pays ne négligez pas du moins cette petite sphère de l’académie qui a bien aussi son importance. Tachez d’obtenir qu’on renonce au candidat dont on vous a parlé pour la première vacance, ce choix serait des plus funestes, je me réserve de le prouver amplement la première fois que j’aurai le plaisir de vous voir.

J’ai été si accablé d’affaires tous ces jours-ci que je n’ai pu encore parcourir votre troisième article et je me réserve de le lire à tête reposée avant de vous en parler.

Ma femme3 et mon fils aîné4 sont bien sensibles à votre bienveillant souvenir. Ils me chargent de vous témoigner toute leur reconnaissance. Veuillez présenter nos respectueux hommages à Madame la comtesse de Falloux et agréez pour vous, cher et illustre confrère, la nouvelle expression de mes sentiments les plus dévoués.

L. de Loménie

1Émile Ollivier (1825-1913), homme politique. Fils d’un Carbonaro républicain, il fut nommé par le gouvernement provisoire préfet de Marseille, le 27 février 1848; il avait alors 22 ans. Il se fit élire en 1857 au Corps Législatif. Républicain, il était néanmoins dépourvu de tout sectarisme. Il accueillit avec faveur l’orientation du régime vers le libéralisme, approuvant notamment le décret du 24 novembre 1860. Réélu en 1863, il fut appelé par l’Empereur pour diriger le gouvernement du 2 janvier 1870 .Exilé en Italie jusqu'en 1873, battu dans le Var en 1876 et en 1877, il consacra le reste de sa vie à la rédaction des dix-sept volumes de son Empire libéral. Il avait été élu à l'Académie française le 7 avril 1870.

2Alfred Jean François Mézières (1826-1915), historien et homme politique. Professeur de littérature étrangère à la Sorbonne, il avait été élu le 29 janvier 1874 en remplacement de Saint-Marc Girardin et sera reçut le 17 décembre 1874 par Camille Rousset. Candidat en 1881 sur une liste de l'Union démocratique en Meurthe-et-Moselle, il sera élu. Réélu, par ce même département en 1885, il rejoindra l'Union républicaine.

3Paule de Loménie, née Lenormant.(1833-1883).

4Loménie, Albert Louis Charles de (1856-1910), il sera auditeur au Conseil d’État.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «17 mars 1874», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1874,mis à jour le : 04/11/2022