CECI n'est pas EXECUTE 12 mai 1876

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12 mai 1876

Elme Caro à Alfred de Falloux

9 rue Thénard1, 12 mai 1876

Cher et très honoré confrère,

Vous nous manquez bien à Paris et à l’académie. Vous seul pouvez ignorer combien nous regrettons votre présence, vos conseils, votre appui.

Les élections de l’académie sont fixées au 8 juin prochain. Le temps presse. La candidature de Monsieur Gaston Boissier2 paraît assurée pour le fauteuil de Monsieur Patin3. Mais pour le fauteuil de Monsieur Carné4 beaucoup d’entre nous hésitent à voter pour Monsieur Charles Blanc5. Quel que soit le mérite de ce candidat, ce mérite est mieux à sa place à l’Académie des beaux-arts.

Restent, en dehors, quelques candidatures de deux ou trois voix, comme celle de Monsieur Antoine de La Tour6 et celle de Monsieur Édouard Fournier7, des candidatures d’amis.

Ne pourrions-nous trouver mieux avec un nom qui, au dernier moment rallierait peut-être un grand nombre de voix hésitantes ? Monsieur de Bernier8 a définitivement retiré sa candidature. Mais voici que Monsieur d’Haussonville9 a pensé à un nom, très brillant à la fois dans la peinture et dans la littérature d’art, Monsieur Eugène Fromentin10, qui n’est pas seulement un peintre des plus distingués, mais un écrivain du plus grand talent. Ses livres sur le Sahel, sur le Sahara et ses dernières publications sur l’école hollandaise (Les maîtres d’autrefois) montrent à quel point il est maître de sa plume comme ces tableaux de l’exposition masquent sa haute distinction comme peintre. Sa critique est idéaliste. C’est en même temps qu’une imagination brillante, une aptitude rare d’analyse. Son roman de Dominique11 est une œuvre hors ligne comme observation psychologique. C’est même le défaut du roman, où les lecteurs frivoles préfèrent l’action à l’analyse. Mais c’est son mérite pour les autres. Tous ces talents divers ont déterminé de ma part une vive sympathie pour cette candidature. Cependant je voudrais, avant de m’engager plus avant, savoir ce que vous en pensez et si vous voulez bien m’en dire votre avis, cela réglerait ma conduite et fixerait ma décision.

Croyez, cher et très honoré confrère, à touts mes sentiments de haute et respectueuse sympathie.

E. Caro

1A Paris 5ème arrondissement.

2Boissier Gaston (1823-1908), historien et philologue français. Normalien, il est alors professeur au Collège de France où il est titulaire de la chaire de poésie latine depuis 1869 et dont il deviendra administrateur de 1892 à 1894. Collaborateur de la Revue des Deux Mondes, il entrera en 1876 à l'Académie française dont il deviendra, en 1895, le secrétaire perpétuel.

3Patin Henri Joseph Guillaume (1793-1876) homme de lettres, helléniste et latiniste. Professeur, il fut nommé doyen Journal des savants. Il était connu tant pour ses traductions du grec et du latin que pour ses Études sur les tragiques grecs, ouvrage qui lui ouvrit les portes de l'Académie française en 1842. Membre de l'Académie française depuis, il avait été nommé secrétaire perpétuel en 1871.

4Carné, Louis Joseph Marcein comte de (1804-1876), historien et journaliste légitimiste ; attaché et secrétaire d'ambassade sous la Restauration ; il s’était rallié à la Monarchie de Juillet. Il fut un de ceux qui collaborèrent au Correspondant dés sa fondation. Député du Finistère (collège de Quimper) de 1839 à 1848, il appartint au Parti social de Lamartine, puis défendit les intérêts catholiques. Sous le Second Empire, il collabora au nouveau Correspondant, au Journal des Débats, à la Revue des Deux Mondes et à la Revue Européenne. Il avait été élu à l’Académie le 23 avril 1863 contre Émile Littré.

5Charles Blanc (1813-1882), critique d'art, il devint rédacteur en chef de la Gazette des Beaux-Arts et fut nommé directeur des Beaux-Arts de 1848 à 1852 et de 1870 à 1873. Frère de l'homme politique et historien Louis Blanc, il entra à l'Académie le 8 juin 1876 en remplacement de Louis de Carné. Parmi ses importants ouvrages mentionnons son Histoire des peintres français au XIXe siècle.

6Antoine Tenant de Latour (1808-1881), historien, homme de lettres et poète. Il collabore à plusieurs périodiques et sera rédacteur en chef de la revue Le Théâtre.

7Édouard François Fournier (1819-1880), homme de lettre, auteur dramatique, il est aussi historien et bibliographe.

8?

9Haussonville, Joseph Othenin Bernard de Cléron, comte d’ (1810-1884), diplomate et homme politique. Il commença sa carrière de diplomate comme attaché à l’ambassade de France à Rome auprès de Chateaubriand en 1929. Après la révolution de 1830, il continua sa carrière diplomatique à Bruxelles, Turin et Naples. Il avait épousé en 1836 la sœur d’Albert de Broglie, Louise Albertine de Broglie. Ayant démissionné de ses fonctions de secrétaire d’ambassade en 1842, il se fit élire à la Chambre des Députés (collège de Provins). Ayant protesté contre le coup d’état du 2 décembre, il se réfugia quelque temps à Bruxelles. Collaborateur de la Revue des Deux Mondes, il fut l’un des chefs de file de l’Union libérale. Le 29 avril 1869, il fut élu à l’Académie française. Après la chute de l’Empire, il se tint à l’écart de la vie politique. Le 15 novembre 1878, il fut néanmoins élu, en tant que républicain conservateur, sénateur inamovible.

10Eugène Samuel Auguste Fromentin (1820-1876), écrivain, peintre (courant orientaliste, et historien de l’art. Ayant présenté sa candidature le 8 juin 1876, il échoua par 12 voix contre 21 à Charles Blanc. Il mourra quelques mois ^plus tard, le 27 août 1876.

11Dominique, roman autobiographique, un des plus remarquables du genre à l’époque.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «12 mai 1876», correspondance-falloux [En ligne], 1876, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, Troisième République,mis à jour le : 30/12/2022