CECI n'est pas EXECUTE 26 octobre 1878

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26 octobre 1878

Charles de Loménie à Alfred de Falloux

Paris, samedi 26 octobre [1878]

Monsieur le comte,

Vous me pardonnerez, je l’espère, si je ne puis résister au besoin de vous dire, à quel point la lecture de votre belle lettre1 parue dans le Correspondant, sous l’impression de laquelle je suis encore, m’a fait battre le cœur. Il est si dur lorsqu’on est jeune, lorsqu’on aspire de toutes les forces de son âme à s’enthousiasmer, à se passionner pour une cause, de venir se briser les ailes contre les absurdités, les exagérations de ceux qui prétendent défendre cette cause, et qui en choquant votre bon sens, vous rejette dans un état de flottement douloureux. Je vous remercie, Monsieur, de m’avoir prouvé le plaisir d’une admiration sans mélange.

Cette impression, croyez-le bien, ne m’est pas personnelle. Ce sera celle de bien des jeunes gens qui n’ont pas renoncé encore aux principes et aux espérances de la religion qu’on leur a appris à connaître, et qui ne peuvent se résoudre, au moment où ils entrent dans la vie, à ce pessimisme désespéré, donc vous parlez si justement. J’ai des amis qui pensent comme moi et je sais que votre langage les touchera comme il m’a touché.

Pour moi, Monsieur, je vous ai déjà dit que j’éprouvais pour vous les sentiments que les soldats d’autrefois ressentaient pour leur général. Permettez-moi de vous le répéter encore. Je suis orgueilleux de triomphe, je serais heureux de vous encore, dans la lutte courageuse que vous avez entreprise, vers le noble but que vous nous montrez. Tous mes vœux seraient remplis s’il m’était possible de servir un jour obscurément la grande cause de la religion et de la liberté. Les traditions de famille, le cher souvenir de mon père2, tout se confond en moi dans ce désir et dans cette espérance.

Je n’ai pas besoin de vous assurer que ma mère et tous les miens admirent comme moi votre lettre au Correspondant.

Veuillez agréer, Monsieur le comte, l’hommage de mes sentiments de profond et sympathique respect.

Charles de Loménie

1Après le discours prononcé par A. de Mun à Chartres, le 8 septembre 1878 dans lequel il proclamait que le terrain sur lequel les catholiques devaient se réunir était celui de la « Contre-révolution », Falloux avait écrit un article dans le Corespondant critiquant vivement ce discours.

2Loménie, Louis de (1815-1878), essayiste. Professeur de littérature française au Collège de France et à l’École Polytechnique, il est l'auteur d'une importante Galerie des Contemporains illustres par un Homme de rien, en 10 volumes (1840-1847). Il avait été élu à l'Académie le 30 décembre 1871 en remplacement de P. Mérimée. Il venait de mourir, le 2 avril 1878.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «26 octobre 1878», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1878,mis à jour le : 23/11/2022