CECI n'est pas EXECUTE 27 juillet 1880

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27 juillet 1880

Yvan Gagarin à Alfred de Falloux

Lausanne, Monabri1, 27 juillet 1880

Mon cher comte ,

Vous êtes mille fois aimable d’insister pour avoir des nouvelles de ma santé. Évian m’a fait un très grand bien et je me porte mieux que je ne me suis porté depuis longtemps. Quant au lieu où je dresserai ma tente, je l’ignore absolument. Si cela était possible, ce que j’aimerais le mieux, cela serais de rester à la rue de Sèvres ; et au cas où cela ne pourrait se faire, je voudrais m’établir quelque part dans Paris avec mes trois compatriotes. Si Paris m’était absolument fermé, je songerais à Rome où j’avais même rêvé d’y passer l’hiver prochain, provisoirement, en attendant que la situation s’éclaircisse. Mais il paraît que c’est difficile. Vous savez que la prudence est domiciliée sur les bords du Tibre. On craint… tout. Je m’en remets à la providence qui arrangera tout pour le mieux.

Je lis ici la correspondance de Raezyneski avec Donoso Cortés2. Je ne parviens pas à comprendre ces catholiques dont toutes les idées politiques se résument dans la haine de l’Angleterre et dans le culte de la Russie ou pour parler plus clairement dans l’amour de l’absolutisme.

Les journaux parlent de reprendre le concile. L’idée n’est pas absolument mauvaise, mais je crois que personne n’y songe, excepté Émile Ollivier3 que je soupçonne fort d’avoir levé ce lièvre là. J’ai lu un article là-dessus, tiré du Petit marseillais ou du Marseillais et qui m’a l’air de venir en droiture de Saint-Tropez. Je crains bien qu’au lieu du concile nous n’ayons une grande guerre qui ne finira rien, parce que rien ne finit ici-bas, mais nous apportera aux moins quelques solutions provisoires sur lesquelles on vivra assez longtemps. La grandeur de la Russie qui date de la bataille de Pultawa4 me fait l’effet de l’éclipser. La décadence a commencé à Sébastopol et depuis elle n’a cessé de faire des progrès. Le voile qui cache cette vérité sera déchiré par Bismarck5 avant qu’il soit longtemps.

Je me laisse aller à causer avec vous. J’allais oublier de vous dire que j’avais le projet d’aller à Évian la semaine prochaine pour y porter mes hommage à Madame de Castellane que je me réjouis de savoir remise de la terrible secousse qu’elle a éprouvée à Annecy. J’espère après le 15 août, apprendre quelque chose de plus claire sur mon avenir ou au moins sur le lieu où je passerai l’hiver prochain.

Je ne vous dis pas combien je suis touché des preuves d’amitié que vous me donnez. Il y a je crois quarante ans que je suis fidèle aux sentiments que je vous ai voués.

I. Gagarine

Veuillez présenter mes hommages à Madame de Caradeuc et à votre fille.

1Demeure de la princesse Sayn-Wiitgenstein (1818-1916), à Lausanne, en Suisse.

2Donoso Cortés Juan, marquis de Valdegamas (1809-1853), penseur et homme politique espagnol. Député de Cadix aux Cortés en 1837. Secrétaire et directeur d’études de la reine Isabelle II, il reçut le titre de marquis de Valdegamas et entra au Sénat. Acquis jusque là aux idées libérales, il se montre dés son retour d’une ambassade à Berlin partisan d’une suprématie absolue de l’Église devenant le théoricien de l’intransigeantisme catholique dans son pays. Ses écrits seront traduit par Louis Veuillot.

3Émile Ollivier (1825-1913), homme politique. Fils d’un Carbonaro républicain, il fut nommé par le gouvernement provisoire préfet de Marseille, le 27 février 1848; il avait alors 22 ans. Il se fit élire en 1857 au Corps Législatif. Républicain, il était néanmoins dépourvu de tout sectarisme. Il accueillit avec faveur l’orientation du régime vers le libéralisme, approuvant notamment le décret du 24 novembre 1860. Réélu en 1863, il fut appelé par l’Empereur pour diriger le gouvernement du 2 janvier 1870 .Exilé en Italie jusqu'en 1873, battu dans le Var en 1876 et en 1877, il consacra le reste de sa vie à la rédaction des dix-sept volumes de son Empire libéral. Il avait été élu à l'Académie française le 7 avril 1870.

4Bataille de Pultawa, en 1709 au cours de laquelle, en 1709, la Russie remporte une victoire militaire décisive contre la Suède.

5Bismarck, Otto Eduard Leopold von (1815-1898), homme d'état allemand. Il devint le premier chancelier (1871-1890) de l'Empire allemand.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «27 juillet 1880», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1880,mis à jour le : 04/01/2023