CECI n'est pas EXECUTE 19 novembre 1881

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19 novembre 1881

Camille Doucet à Alfred de Falloux

Institut de France (Paris), 19 novembre 1881

Monsieur le comte,

J’ai reçu de Rome une lettre par laquelle Mgr d’Autin1 me confie une déclaration de candidature, qu’il me prie de ne communiquer à l’académie que sous certaines réserves et à certaines conditions.

1° le succès semble-t-il assuré ? (Il ne faut, dit-il, compromettre ni le candidat ni, en lui, ce qu’il représente).

2° les visites sont-elles nécessaires ? Des cartes suffiraient-elles ?

qui recevra l’Élu ?

Cette lettre m’étant parvenu mercredi dernier à huit heures du soir, j’ai consulté, jeudi matin, trois amis, avant de décider le jour même à l’académie ou à remettre cette communication à huitaine. C’est ce dernier parti que j’ai pris, d’accord en cela avec Messieurs le duc de Broglie, J.-B. Dumas2 et Nisard3.

Hier, j’ai écrit à l’évêque et, sans le décourager en rien, je lui ai donné les renseignements qu’il désirait.

Je viens de revoir le duc de Broglie qui désire, comme moi, que la situation vous soit soumise.

Les circonstances politiques augmentent la gravité de cette candidature et beaucoup d’entre nous la désirent d’autant plus.

D’autres lui seront d’autant plus hostiles. Malgré tout, le succès serait très probable.

L’absence est à regretter, mais elle ne serait pas un obstacle.

Mais c’est par Renan4 que l’évêque serait reçu ! Et il ne le veut pas. Faut-il demander à Renan de passer parole à son chancelier Maxime du Camp5 ? Il l’a déjà désigné pour recevoir le successeur de Monsieur Duvergier de Hauranne6. Et s’il refusait! M. le duc de Broglie voilà un très gros mais très gros inconvénient.

D’ici à jeudi on a le temps de réfléchir ; mais on a que le temps ! Votre absence est bien regrettable. Il y a tant de choses qu’on ne peut se dire que tout bas.

En tout cas, je me fais un devoir de vous mettre au courant et d’implorer le secours de vos lumières.

Agrée, je vous prie, la nouvelle assurance de montrer respectueux dévouement.

Camille Doucet

L’heure me presse et doit excuser le décousu de cette lettre.

1Mgr Perraud Adolphe Louis Albert (1828-1906), prélat. Prêtre de l'Oratoire de France en 1855, professeur d'histoire de l’Église à la Sorbonne en 1865, il fut nommé évêque d'Autun en 1874, puis cardinal en 1893.Normalien de la promotion About, Sarcey, Taine, Weiss, il fut l'auteur de plusieurs ouvrages religieux, l'Histoire de l'Oratoire en France au XVIIIe et au XIXesiècle, de plusieurs études sur le cardinal de Richelieu, le Père Gratry, d'oraisons funèbres et de panégyriques. Il fut élu à l'Académie le 8 juin 1882 en remplacement d'Auguste Barbier qui avait exprimé, avant de mourir, le désir de l'avoir pour successeur, et reçu le 19 avril 1883 par Camille Rousset. Lorsque S. E. le cardinal Perraud arriva au conclave de 1903 qui suivit la mort du pape Léon XIII, le cardinal camerlingue le complimenta et le félicita d'appartenir à l'Académie française.

2Dumas, Jean-Baptiste (1800-1884), chimiste et homme politique. Membre de l’Académie des Sciences (1832) et de l’Académie de Médecine (1843), il est l’auteur de plusieurs ouvrages scientifiques. Député en 1849, il fut ministre de l'Agriculture et du Commerce en 1850-1851, et sénateur sous l’Empire. Il avait été à l'Académie française le 16 décembre 1875 en remplacement de François Guizot et reçu le 1erjuin 1876 par Saint-René Taillandier.

3Nisard, Désiré (1806-1888), journaliste, littérateur et homme politique. Critique dans plusieurs journaux et revues (Journal des Débats, National, Revue de Paris et Revue des Deux Mondes), il fut professeur d'éloquence latine au Collège de France en 1833, puis d'éloquence française, il fut directeur de l’École Normale et membre de l'Académie des Inscriptions.  Élu à l'Académie française le 28 novembre 1850, il fit partie de la Commission du Dictionnaire.  Député en 1842, il fut sénateur en 1867, il était de sentiment impérialiste.

4Renan Ernest Joseph (1823-1892), écrivain et philosophe. Se destinant à la prêtrise, il fis ses premières études à l’école ecclésiastique de Tréguier (1832-1838). Il vint ensuite achever ses humanités à Paris, à Saint-Nicolas du Chardonnet dirigé alors par l’abbé Dupanloup. Entré au grand séminaire de Saint-Sulpice, il le quittera néanmoins deux ans plus tard. Agrégé de philosophie en 1848, il fut élu au Collège de France en 1862 avec le soutien des bonapartistes libéraux. L’année suivante, il publia sa Vie de Jésus dans laquelle il replaçait le Christ dans son milieu historique. L’ouvrage souleva de vives critiques parmi les catholiques qui obtinrent sa mise à l'Index. Mgr Dupanloup, son ancien professeur organisa même une cérémonie d'expiation collective à Notre-Dame. Un an plus tard, Renan fut contraint, sous la pression du gouvernement, de quitter sa chaire du Collège de France. Il entra à l’Académie française en 1878 et devint administrateur du Collège de France en 1883.

5Du Camp, Maxime (1822-1894), journaliste et écrivain. Un des fondateurs de la Revue de Paris, proche de G. Flaubert, il fut l'auteur de plusieurs ouvrages dont Paris, ses organes, ses fonctions, sa vie (6 vol.). Il avait été élu à l'Académie française le 26 février 1880, au fauteuil de Taillandier, fauteuil convoité par Ch. de Mazade.

 

6Duvergier de Hauranne, Prosper-Léon (1798-1881), membre du groupe des « Doctrinaires », il collabora au Globe et à la Revue française. Député du Cher de 1831 à 1848, il participa à la campagne des banquets contribuant à la Révolution de Février. Il fut élu à la Constituante et à la Législative, il siégea à droite et combattit la politique de l’Église. Emprisonné après le coup d’État puis libéré, il partit peu après en exil. Rentré en France en août 1852, il se consacra à la rédaction d’une importante Histoire du gouvernement parlementaire en France en 10 volumes et entra à l’Académie française. Après la chute de l’Empire, il avait été un partisan actif de Thiers. Décédé le 20 mai 1881, il était membre de l’Académie française depuis 1870.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «19 novembre 1881», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1881,mis à jour le : 07/12/2022