CECI n'est pas EXECUTE 13 novembre 1881

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13 novembre 1881

Camille Doucet à Alfred de Falloux

Institut de France, Paris, le 13 novembre 1881

Monsieur le comte et cher confrère

Votre lettre pour Sully prud’homme est déjà chez lui à 82, rue du faubourg Saint-Honoré. C’était facile.

Je suis plus embarrassé pour répondre aux autres questions que vous voulez bien m’adresser.

Candidat à tous les fauteuils, Sully prud’homme1 ne se présente sérieusement que sur celui de Monsieur Duvergier de Hauranne2 qui, d’un commun accord, paraît être réservé à un poète.

Beaucoup de nos amis voteront pour Coppée3 : quelques-uns pour Eugène Manuel4.

Sur le second fauteuil (Littré5) le succès de Monsieur Pasteur6 probable.

Sa candidature, purement scientifique, a soulevé de fortes objections de principe ; mais je ne lui vois pas de concurrents redoutables.

Pour le fauteuil de Monsieur Dufaure7 la lutte sera entre Messieurs Auguste Maquet8, président de la commission des auteurs dramatiques, Paul Janet9 (de l’Académie des sciences morales et politiques) de Mazade10, Cherbuliez11, et autre Eugène Manuel12.

Monsieur Wallon déserte, dites-vous ? C’est de la prudence ; trop peut-être !

Si Mgr d’Autin13 se présente, il a, je crois, de grandes chances de réussir, mais les journaux annoncent qu’il est parti pour Rome. C’est pour Paris qu’il fallait partir !

Qui quitte la partie la perd !

Le jour des élections approche, il faudrait se décider et agir.

J’ai attaché le grelot, en rappelant les traditions constantes de la qualité. C’est maintenant à d’autres qu’il appartient de profiter de l’ouverture et d’introduire leur candidat.

Vous savez, Monsieur le comte, à quelle réserve je suis condamné.c’est le gros personnage se dérobait aussi, vous penseriez à Monsieur de Mazade. Son mérite est incontestable ; mais sa personne est peu connue et, tout d’abord, le public n’est pas tenté de voir en lui le successeur d’un homme aussi important que Monsieur Dufaure.

M. Laboulaye14 aurait pu, je crois, réussir ; mais il s’abstient. Reste 5 candidats, plus ou moins incertain.

Maquet ne vous est pas connu ; sans cela, ce galant homme, d’un grand talent, vous inspirerait, j’espère, quelque sympathie.

M. de Mazade devient pour lui un terrible adversaire, grâce à vous. Si vous tuez mon candidat, je suis homme à me venger, en tendant la main au vôtre.

Je n’ai aucun parti pris en ce qui me concerne et je ne vois pas plus clair dans le jeu des autres. N’attendez donc pas de moi la lumière ; autant vaudrais me demander aujourd’hui quels seront demain les élus du grand ministre, les membres du grand ministère.

J’aurais voulu pouvoir causer avec vous de tout ce qui, intéressant l’académie, nous intéresse au plus haut degré. Vous vous renfermez hélas!dans votre douleur et je le comprends. Ne serait-ce pas pourtant une sorte de consolation pour vous que de venir nous aider à bien faire.

À bientôt, j’espère, et veuillez en attendant, très cher et honoré confrère recevoir la nouvelle assurance de mon respectueux attachement.

Camille Doucet

1Prudhomme, René Armand François, dit Sully Prudhomme (1839-1907), poète, il sera élu à l’Académie française en 1881 et premier lauréat du prix Nobel de littérature en 1901

2Duvergier de Hauranne, Prosper-Léon (1798-1881), membre du groupe des « Doctrinaires », il collabora au Globe et à la Revue française. Député du Cher de 1831 à 1848, il participa à la campagne des banquets contribuant à la Révolution de Février. Il fut élu à la Constituante et à la Législative, il siégea à droite et combattit la politique de l’Église. Emprisonné après le coup d’État puis libéré, il partit peu après en exil. Rentré en France en août 1852, il se consacra à la rédaction d’une importante Histoire du gouvernement parlementaire en France en 10 volumes et entra à l’Académie française. Après la chute de l’Empire, il avait été un partisan actif de Thiers. Décédé le 20 mai 1881, il était membre de l’Académie française depuis 1870.

3Coppée François (1842-1908), poète et auteur dramatique. Il était alors, pour la deuxième fois candidat à l'Académie française. Devancé le 8 décembre 1881 par Sully Prudhomme, il sera élu le 21 février 1884 en remplacement de Victor de Laprade

4Manuel, Eugène (1823-1901), homme de lettres, poète. Profondément attaché à la République, il fut chef de cabinet de Jules Simon en septembre 1870, il est par ailleurs l'un des fondateurs de l'Alliance israélite universelle en 1860. Il deviendra inspecteur de l'académie de Paris en 1872, puis inspecteur général de l'instruction publique en 1878. Il ne sera jamais élu à l’Académie française.

5Littré, Émile Maximilien Paul (1801-1881), lexicographe, philosophe et homme politique. Célèbre pour son Dictionnaire de la langue française, sa candidature à l’Académie française en 1963 fut âprement combattue par Mgr Dupanloup qui lui reprochait son athéisme. Il sera néanmoins élu le 30 décembre 1871, ce qui avait amener Mgr Dupanloup à donner sa démission en signe de protestation. Il était mort le 2 juin 1881.

6Pasteur, Louis (1822-1895). Membre de l'Académie des Sciences depuis 1862, le célèbre scientifique s‘était porté candidat à l'Académie française depuis 1862. Il avait écrit à Falloux à ce sujet (voir sa lettre). Il y sera élu en 1882. Il sera effectivement élu le 8 décembre 1881 au fauteuil d’E. Littré.

7Il était décédé le 27 juin 1881.

8Maquet, Auguste (1813-1888), romancier et dramaturge français, Très lié à Théophile Gautier et à Alexandre Dumas.

9Janet, Paul Alexandre René (1823-1899), professeur et philosophe français, membre de l'Institut. Agrégé de philosophie, professeur de philosophie au collège de Bourges, puis au lycée Louis le Grand, et professeur d’histoire de la philosophie à la Sorbonne en 1864. Il sera élu, un mois plus tard, le 13 février 1864, membre de l'Académie des sciences morales et politiques en remplacement de Villermé.

10Mazade, Charles Louis Jean Robert de (1820-1893), historien et journaliste. Il était, depuis plusieurs années, le rédacteur politique de la Revue des Deux Mondes. On lui doit de nombreux ouvrages notamment L’Espagne moderne (1855), Lamartine, sa vie littéraire et politique (1872), L'opposition royaliste : Berryer, de Villèle, de Falloux (1894). Après plusieurs échecs, il sera finalement élu le 7 décembre 1882.

11Cherbuliez Victor (1829-1899), romancier, auteur dramatique et essayiste. Collaborateur de la Revue des Deux Mondes et auteur de nombreux romans. Devançant Charles Mazade qui convoitait le même siège, il fut élu à l'Académie française le 8 décembre 1881 en remplacement de Jules Dufaure.

12Eugène Manuel (1823-1901), homme de lettres, poète. Profondément attaché à la République, il fut chef de cabinet de Jules Simon en septembre 1870, il est par ailleurs l'un des fondateurs de l'Alliance israélite universelle en 1860. Il deviendra inspecteur de l'académie de Paris en 1872, puis inspecteur général de l'instruction publique en 1878. Il ne sera jamais élu à l’Académie française.

13Mgr Perraud Adolphe Louis Albert (1828-1906), prélat. Prêtre de l'Oratoire de France en 1855, professeur d'histoire de l’Église à la Sorbonne en 1865, il fut nommé évêque d'Autun en 1874, puis cardinal en 1893.Normalien de la promotion About, Sarcey, Taine, Weiss, il fut l'auteur de plusieurs ouvrages religieux, l'Histoire de l'Oratoire en France au XVIIIe et au XIXesiècle, de plusieurs études sur le cardinal de Richelieu, le Père Gratry, d'oraisons funèbres et de panégyriques. Il fut élu à l'Académie le 8 juin 1882 en remplacement d'Auguste Barbier qui avait exprimé, avant de mourir, le désir de l'avoir pour successeur, et reçu le 19 avril 1883 par Camille Rousset. Lorsque S. E. le cardinal Perraud arriva au conclave de 1903 qui suivit la mort du pape Léon XIII, le cardinal camerlingue le complimenta et le félicita d'appartenir à l'Académie française.

14Laboulaye Édouard-René Lefèbvre (1811-1883), jurisconsulte et homme politique. Il collabora au Journal des Débats et fut un des fondateurs, en 1860, de La Revue nationale. Bien qu’il fût l’un des protagonistes de l’Union libérale, il ne se présenta pas aux élections de 1863. Candidat lors d’une élection partielle en 1866, il échoua comme en 1857, 1864, puis 1869. Élu le 2 juillet 1871, il siégea au Centre gauche avec des républicains soucieux comme lui d’ordre et de liberté. Proche de Thiers, il fut partisan d’une République « présidentielle ». Élu sénateur inamovible (décembre 1875), il continua de siéger au Centre gauche et s’opposa, en 1877, à Mac-Mahon, mettant en garde l’Assemblée contre les dangers du pouvoir personnel.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «13 novembre 1881», correspondance-falloux [En ligne], 1881, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, Troisième République,mis à jour le : 07/12/2022