CECI n'est pas EXECUTE 23 décembre 1885

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23 décembre 1885

Maxime de La Rocheterie à Alfred de Falloux

Orléans, 23 décembre 1885

Cher Monsieur

Je suis vraiment honteux de nous avoir point écrit encore. Vous excuserez, je l’espère, un homme qui a eu, tout l’été et tout l’automne une vie singulièrement agitée, et qui depuis le mois d’octobre, n’a point encore retrouvé la tranquillité, obligé qu’il est de défendre ignibus et nostro les braves gens qui se sont compromis en le soutenant. Nous avons fait dans le Loiret une campagne malheureuse1, puisque nous avons abouti à un échec complet, je ne crois pourtant pas qu’elle ait été sans utilité ; n’eussions-nous réussi qu’à secouer les conservateurs forts endormis de notre département et à leur apprendre à se grouper et à se discipliner. Nos trente trois mille électeurs du premier tour nous sont restés fidèles et sont devenus trente cinq mille au second tour. Je ne regretterai pas la peine que nous nous sommes donnés et les vingt sept conférences publiques que nous avons fait en trois semaines. Mais ce qui me frappe le plus c’est que nos amis, malgré leur insuccès, ne sont nullement découragés ; j’en ai vu beaucoup depuis l’élection ; ils sont tous prêts à recommencer.

Faut-il vous dire, cher Monsieur, que je suis plus découragé qu’eux, tout en gardant bien de le leur dire. J’ai vu le suffrage universel de trop près pour garder sur son compte de grandes illusions, et je n’en avais jamais eu. Il ne comprend aucune grande idée et va droit aux médisants. Il veut des élus à son niveau et il prend pour règle de conduite non pas des principes et des intérêts mais souvent des préjugés. Si ces intérêts sont liés très fortement, comme aujourd’hui, il reviendra peut-être momentanément aux conservateurs, mais avant tout il cherchera un sauveur et il le cherchera surtout dans un coup de force ; or ce ne sont pas nos princes2 qui font les coups de force. Si même pas une chance inespérée, les conservateurs devenaient majorité, que pourraient-il faire que consolider la république. Divisés comme ils le sont, comment pourraient-il rétablir la monarchie ?

Comme le comte de Chambord a été coupable, lui qui a pu le rétablir, à un moment où l’Empire ne comptait plus, et qui ne l’a pas voulu. L’Église, elle, est plus heureuse, elle a les évêques d’Angers elle a au-dessus des Léon XIII, et d’ailleurs elle fait des promesses immortelles. Où est le Léon XIII de la royauté ?

Du moins, cher Monsieur, au commencement de cette année qui va s’ouvrir, avec un si redoutable inconnu, recevez tous mes vœux auxquels Mme de la Rocheterie3 tient à joindre ses vœux et agréez l’hommage de mon respectueux et fidèle attachement.

Monsieur de La Rocheterie4

Ne viendrez-vous pas cet hiver à Paris ?

1Les élections législatives marquent, on le sait l’instauration définitive de la République et sonnent le glas d’une restauration monarchique.

3Ernestine de Man d'Attenrode et Wevere (1842 – 1907).

4Maxime de Laage de La Rocheterie (1837-1917), conseiller général du Loire et maire de Dry (Loiret). Historien, on lui doit notamment une Histoire de Marie-Antoinette, Perrin, 1890, 586 p.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «23 décembre 1885», correspondance-falloux [En ligne], 1885, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, Troisième République,mis à jour le : 03/01/2023