CECI n'est pas EXECUTE 9 février 1852

Année 1852 |

9 février 1852

Francisque de Corcelle à Alfred de Falloux

9 février 1852

Mon cher ami, la lettre ci-incluse m’a été fidèlement remise hier. Je l’ai lue comme vous le désiriez. Comme je n’ai pas connaissance de la lettre qui a provoqué la vôtre, je suis réduit sur ce point à de tristes conjectures. Qui sait mieux que moi les faiblesses de mon pauvre beau-frère1 et les inconvénients de la situation politique ? C’est un enfant gâté, malheureusement très irritable et très influent m’a-t-on dit. J’ai toujours évité avec lui toute espèce d’entretien intime sur les sujets qui nous auraient divisés, voulant conserver les affectueuses relations de parenté qui doive nous unir.

Mes précautions vis-à-vis de ses vivacités de caractère ne datent pas des dernières années. Elles n’ont pas empêché quelques troubles peu importants à de certains moments, je vous le dis confidentiellement. Ces troubles ont disparu à force de ménagement et de silence dans les circonstances où je savais qu’il n’y avait pas d’autres préservatifs à employer. Je le connais : s’il apprend que j’ai lu votre lettre et mis l’adresse, nous voilà en explications et susceptibilités interminables.

Je prends donc le parti de vous renvoyer la lettre avec l’adresse dont il s’agit, afin qu’elle soit datée du Bourg d’Iré.

C’est un retard ; mais soyez sûrs que la réflexion est bonne en pareille occurrence. Je ne puis vous conseiller exactement puisque j’ignore les termes qui ont provoqué votre réponse ; mais je vous aime assez pour vous envoyer mon impression générale, mes conjectures et supplications.

Je crois que cette réponse est juste; je crains beaucoup qu’elle ne soit nuisible. Songez que MM. G. - D. M. assure qu’en ce moment il y a un petit progrès. Prenez garde d’irriter au-delà de ce qui est nécessaire pour votre dignité, des conseillers influents et mal disposés. À votre place, je n’accepterai pas, étant averti, la responsabilité d’un appareil effet. Je conviens que vous êtes tenu à une certaine fermeté sévère ; mais n’y a-t-il pas moyen d’adoucir la forme, d’éviter ce qui aigrirait trop l’amour-propre de votre correspondant ? Donnez-vous cette supériorité à la fois chrétienne et politique. Récriminez le. Le mieux serait de ne pas récriminer du tout ou le moins possible. Retranchez surtout ces mots de la fin : Et sans dignité pour vous-même. À vrai dire, je ne considère comme nécessaire que la réponse et les rectifications des deux premières pages. Le ton général des deux autres me paraît imprudent, inutilement piquant, ce qui vous donnerait peut-être un air piqué. Vous ne l’êtes point et il y a peu de sujets de l’être ! Plus vous paraîtrait faible, plus vous serez fort habile.

Vous voyez que je vous écris comme si mon frère était au Bourg d’Iré. C’est bien là le fond de mon âme quoi que je ne veuille pas manquer au sentiment de compassion fraternelle que je dois à l’autre.

Une autre considération doit vous préoccuper : Les vivacités inconvenantes de Jules2 sont venues sans doute de la circulaire. Eh bien, vous devez admettre qu’elle pouvait être mal interprétée pour les exilés. Elle l’a bien été pour la plupart de vos amis. Accordez un premier mouvement à l’irritation des premiers. Ne leur passez pas l’iniquité… Voilà la mesure à observer.

Mon neveu repart. Vous lui manquez bien ou pour mieux dire que vous nous manquez bien. J’ai la conviction qu’il est impossible de traiter de loin de certains sujets, au milieu de nos complications, et surtout en présence de la mobilité continuelle des esprits, du changement subit des situations, des dispositions, des intérêts, et cela à chaque instant. La solitude n’est bonne que pour les grands horizons et pour Dieu. Je joins ici une lettre qu’une personne de votre connaissance a cru devoir adresser à son évêque qui lui paraissait trop satisfait. C’est une confidence comme de raison. Le prélat est le plus simple et le plus digne des hommes. Le correspondant l’aimait assez, pour être autorisé à le tourmenter un peu. Je sais qu’il est des plus réservé maintenant, ce qui ne peut être attribué qu’à lui-même.

Ce que j’ai appris de la santé de la petite malade de notre ami Monsieur de Rességuier me préoccupe sans cesse et me navre. J’ai besoin de vous savoir reposé et en force, content c’est trop désirer dans ce monde et dans ce temps, quoiqu’en doive toujours l’être en s’élevant avec les ailes dont vous savez si bien l’usage.

Votre ami tendre et vrai.

Fr. C.

1Lasteyrie, Jules Adrien de (1810-1883), journaliste, écrivain et homme politique. Fervent orléaniste, il fut élu député de la Sarthe (1842-1848), puis de Seine-et-Marne de 1841 à 1851 et de 1871 à 1875. Sénateur inamovible (1875-1883)

2Voir note supra.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «9 février 1852», correspondance-falloux [En ligne], CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, Année 1852-1870, Second Empire, Année 1852,mis à jour le : 12/02/2023