CECI n'est pas EXECUTE 22 Février 1852

Année 1852 |

22 Février 1852

Francisque de Corcelle à Alfred de Falloux

22 février 1852,

Mon cher ami, je vous dois de tendres remerciements pour la concession que vous avez bien voulu faire à mes scrupules fusionnistes1. Il n’y a rien à dire sur la seconde rédaction. Elle me paraît complètement dans les limites de la défense. D’après ce qui m’est revenu de divers côtés M. G2. avait vu les choses en beau. On poursuit, je le crois, les calculs ordinaires sur les progrès aveugles du mécontentement général. M. G. lui-même m’a avoué qu’il n’espérait rien. De rudes expiations pourront seules changer les cœurs.

J’attends mon neveu vendredi ou samedi prochain. Ce retour concordera peut-être avec le vôtre ; je le désire bien vivement. Vous trouverez la situation de la cause monarchique changée sous plusieurs rapports. Beaucoup de légitimistes de province et de salon se livrent au pouvoir actuel. Par compensation, beaucoup d’anciens personnages libéraux et constitutionnels, appartenant à ces nuances qui sont désormais du domaine de l’histoire et presque de l’archéologie, sont arrivés à désirer sincèrement la vraie monarchie. Il me tarde de parler de tout cela avec vous.

Pour le moment, le président paraît s’arrêter dans sa marche et pratique une sorte de juste milieu. Rien de socialiste ne s’y trouve. C’est à peu près le budget présenté par la dernière assemblée et il en résultera que le droit de la nouvelle pourra être ajourné jusqu’au budget de 1853. M. Fould3 ne redoute pas le socialisme financier, mais simplement la vanité, la prévoyance et le coulage. Ce qu’on dépense en sottise est énorme. Ainsi on commence sur la place du carrousel et la place Louis XV des travaux qui s’élèveront en plusieurs années, il est vrai, à plus de 50 millions.

On reprend les réseaux de chemin de fer dans des proportions fabuleuses et bien au-delà du crédit national ou étranger.

Vous voyez qu’on peut aller assez loin de cette façon sans se briser. Le danger d’une chute ne commencerait que si les déficits nous améneraient de nouveaux impôts concentrés sur de certaines classes dont le mécontentement ne saurait être aisément délimité.

Quant aux aventures extérieures, elles deviennent de plus en plus difficile. Vous savez que l’empereur de Russie envoie et accrédite en Belgique le comte de Strogonoff4. C’est le 1er ministre russe qui figure en cette qualité auprès du roi Léopold5 et il est évident qu’il y arrive comme bouclier contre les velléités de guerre.

D’un autre côté, voilà un ministère Tory qui se forme en Angleterre et qui va se rapprocher de l’Europe. L’Autriche seule a paru un moment encourager, dans le président, des espérances de partie liée pour achever sur le continent le gouvernement représentatif. Les cours de Berlin et de Saint-Pétersbourg n’ont pas suivi cette impulsion. Ainsi le prince de Schwarzenberg6 a écrit le 29 janvier une dépêche dans laquelle il déclarait que ni la branche cadette ni la branche aînée n’aurait pu, comme L[ouis] N[apoléon] rendre à l’Europe l’immense service d’attaquer aussi résolument la forme représentative et parlementaire d’où vient tout le mal et il en concluait l’obligation d’une profonde reconnaissance. Je tiens la substance de cette note adressée à Berlin et à St Petersburg d’un personnage qui l’a lue. Heureusement la Russie et la Prusse ont répondu prudemment. Mais tout cela est de nature à calmer le président. Il se bornera je crois, à prendre avant 2 mois le titre impérial7 et ce ne sera pas un cas de guerre. Adieu, mon cher ami je puis vous dire combien je suis altéré de vos paroles et de votre amitié. C’est de vous que j’attends toujours la lumière, le courage et tous les exemples qu’il est doux de suivre. Ne m’oubliez donc pas à votre passage.

Fr de Corcelle.

1Voir lettre de Fr. de Corcelle à Falloux du 6 février 1852.

2Guizot, sans doute.

3Fould, Achille (1800-1867), homme politique. Député en 1842, il devint ministre des Finances d’octobre 1849 à janvier 1852. Nommé sénateur sous le second Empire, il fut d’État de 1852 à 1860 et ministre du conseil privé de l'Empereur. Il sera de nouveau ministre des Finances de 1862 à 1867.

4Grigori Alexandrovitch Stroganov, comte (1824-1879), homme politique et militaire russe. Il fut gouverneur de Kharkov et de Poltava de 1836 à 1839. Ministre de l'Intérieur de la Russie impériale du 1839 à 1841, il avait été nommé membre du Conseil d'État en 1849. Il sera nommé gouverneur général de Saint-Pétersbourg en 1854, puis gouverneur de Nouvelle-Russie de 1855 à 1863.

5Leopold Ludwig Maria Franz Julius Eustorgius Gerhard d'Autriche 18231898), archiduc d'Autriche.

6Félix-Louis, prince de Schwarzenberg (1800-1852), homme d'État autrichien. Ministre président d’Autriche du 21 novembre 1848 à sa mort, le 5 avril 1853, il contribua à la restauration de l’Empire des Habsbourg comme puissance européenne, après la révolution de 1848.

7Effectivement, à l’issue de son coup d’état du 2 décembre, Louis-Napoléon prendra le titre d’empereur sous le nom de Napoléon III.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «22 Février 1852», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, Année 1852-1870, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1852,mis à jour le : 19/02/2023