CECI n'est pas EXECUTE 28 janvier 1880

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28 janvier 1880

Henri Wallon à Alfred de Falloux

Paris, le 28 janvier 1880

Monsieur et très honoré confrère,

Je ne saurais vous dire combien je suis touché du témoignage de sympathie et d’estime que vous m’avez donné à l’occasion de mon discours. Je ne crois pas que nous triomphions. Nous luttons, nous lutterons sur les articles ; mais la majorité du Sénat n’y apporte plus l’intention qu’elle avait donnée à la discussion générale.

On voit que c’est un parti pris.

Je vous remercie des bonnes dispositions que vous me gardez pour l’académie et je crois que votre présence à Paris pourrait être décisive en ma faveur. Comme je vous l’ai dit, on ne regarde pas comme probable que l’académie nomme le même jour Laboulaye1 et moi. Un 3e fauteuil est vacant qui sera donné plus tard, celui de Jules Favre2. M. Laboulaye conviendrait mieux que moi comme successeur de Jules Favre. M. Mézières3 m’exprimait le désir qu’on le décidât à s’y reporter, et je pourrais invoquer pour la priorité dans l’élection la lutte qu’avec votre patronage j’ai entreprise dans une élection précédente quand le succès était à peu près désespéré. Je pourrais invoquer les 15 voix que j’ai obtenues, une me manque : celle de Saint-René Taillandier que je voudrais remplacer, et c’est aussi le désir de ses amis, de M. Barbier4 par exemple ; mais une autre voix refait le nombre 15, celle de M. Marmier5 qui n’est pas venu voter pour ne pas avoir à le faire dans l’élection du successeur de M. Thiers. Une ou 2 voix pourraient-elles se détacher en présence de candidats nouveaux. Mais MM. Octave Feuillet6 et Olivier7 ont dit qu’ils voteraient pour moi. M. Mignet m’a témoigné les intentions les plus favorables. J’ai tout lieu de compter sur Monsieur le duc d’Audiffret-Pasquier8, MM. Jules Sandeau9 et Sardou10 seront pour moi si je ne suis pas opposé à M. Labiche11 qui, dit-on, n’espère plus qu’à une honorable minorité ; M. Boissier12, si je ne suis pas opposé à Laboulaye13. MM. Nisard14 et Taine15 sont très sympathiques à mon égard. M. Camille Doucet16 aussi mais après M. Labiche.

Je vous livre en toute confidence ces conjectures et ces espérances pour que vous les contrôliez et voyiez s’il n’y a rien à faire même de loin. Voyez qu’en faisant quelques concessions aux amis de M. Labiche, il y aurait moyen d’assurer mon élection. J’ai donc un très grand intérêt à ce que une température plus douce vous permette de venir à Paris pour voir les choses et les hommes et <mot illisible> du don de persuasion qui est en vous.

D’après l’avis de Mézières17 et d’autres de mes amis, Laboulaye ayant écrit à l’Académie jeudi dernier, je l’ai fait moi-même dans la séance dernière. En attendant veuillez agréer, Monsieur et très honoré et cher confrère, l’assurance de mes sentiments respectueux et dévoués.

H. Wallon

 

 

 

 

 

1Laboulaye Édouard-René Lefèbvre (1811-1883), jurisconsulte et homme politique. Il collabora au Journal des Débats et fut un des fondateurs, en 1860, de La Revue nationale. Bien qu’il fût l’un des protagonistes de l’Union libérale, il ne se présenta pas aux élections de 1863. Candidat lors d’une élection partielle en 1866, il échoua comme en 1857, 1864, puis 1869. Élu le 2 juillet 1871, il siégea au Centre gauche avec des républicains soucieux comme lui d’ordre et de liberté. Proche de Thiers, il fut partisan d’une République « présidentielle ». Élu sénateur inamovible (décembre 1875), il continua de siéger au Centre gauche et s’opposa, en 1877, à Mac-Mahon, mettant en garde l’Assemblée contre les dangers du pouvoir personnel.

2Favre, Jules (1809-1880), avocat et homme politique. Il devint vite l’un des chefs les plus célèbres du Barreau de Paris, principalement dans les affaires politique. Ardent républicain, il fut secrétaire général au ministère de l’Intérieur, en 1848, sous Ledru-Rollin. Élu lors des élections partielles de 1858, il devint l’un des chefs de l’opposition républicaine au Corps Législatif. Avec quatre autres républicains (Ollivier, Darimon, Hénon, Picard), il forma, à partir de la session de 1859, le groupe dit des Cinq, opposition majeure à l’empire autoritaire jusqu’en 1863. Il fut réélu en 1863. Après la chute de l’Empire, il se vit confier le poste de ministre des Affaires étrangères ; il se chargea d’organiser la résistance aux Prussiens et négocia un traité de paix.

3Mézières Alfred Jean François (1826-1915), essayiste et homme politique. Normalien, professeur de littérature étrangère à la Sorbonne, il fut l'auteur de plusieurs études sur Shakespeare, Dante et Goethe. Journaliste, il participa à la fondation du temps en 1864. Élu en 1881, député de Meurthe-et-Moselle, il siégea avec les républicains opportunistes et fut constamment réélu jusqu'en 1898. Devenu sénateur de ce même département en 1900, il continua de siéger avec le centre gauche. Élu à l'Académie le 29 janvier 1874 en remplacement de Saint-Marc Girardin, il fut reçu le 17 décembre 1874 par Camille Rousset.

4Barbier, Auguste Henri (1805-1882), poète et littérateur. Il avait été élu le 29 avril 1869 à l'Académie française au siège d'Adolphe-Joseph Empis en dépit de son hostilité déclarée à l'Empire.

5Xavier Marmier (1808-1892), journaliste et écrivain. Rédacteur en chef de la Revue germanique, puis administrateur général de la Bibliothèque Sainte-Geneviève, il propagea en France la langue et la littérature allemandes. Il avait donné des leçons de littérature aux deux filles de Louis-Philippe, Clémentine et Marie. Il collabora également à la Revue des Deux Mondes. Il fut élu à l’Académie française le 19 mai 1870. On lui doit un Journal (1848-1890) important qui fut publié en 1968 (Droz, 812 p.).

6Feuillet, Octave (1821-1890), romancier et auteur dramatique. Il fut le premier élu à l'Académie à titre de romancier, le 20 janvier 1862.

7Émile Ollivier (1825-1913), homme politique. Fils d’un Carbonaro républicain, il fut nommé par le gouvernement provisoire préfet de Marseille, le 27 février 1848; il avait alors 22 ans. Il se fit élire en 1857 au Corps Législatif. Républicain, il était néanmoins dépourvu de tout sectarisme. Il accueillit avec faveur l’orientation du régime vers le libéralisme, approuvant notamment le décret du 24 novembre 1860. Réélu en 1863, il fut appelé par l’Empereur pour diriger le gouvernement du 2 janvier 1870 .Exilé en Italie jusqu'en 1873, battu dans le Var en 1876 et en 1877, il consacra le reste de sa vie à la rédaction des dix-sept volumes de son Empire libéral. Il avait été élu à l'Académie française le 7 avril 1870.

8Audiffret-Pasquier, Edme Armand Gaston, duc d' (1823-1905), homme politique français. Auditeur du conseil d’État de 1845 à 1848. Membre du Conseil d'administration des mines d'Anzin. Il devient député de l'Orne en 1871. Inscrit au centre-droit, il contribua à la chute de Thiers. Favorable à la fusion et à la restauration d'une monarchie constitutionnelle, il se résigna, en raison de l'attitude intransigeant du comte de Chambord au vote de la loi du septennat et contribua à la chute du ministère Broglie. Partisan d'une conciliation avec le centre-gauche, il est élu à la présidence de l'Assemblée nationale le 15 mars 1875 et neuf mois plus tard il est élu sénateur inamovible. Il sera élu à l'Académie française le 24 décembre 1878 au fauteuil de Mgr Dupanloup.

9Sandeau, Jules (1811-1883), romancier et auteur dramatique. Conservateur de la Bibliothèque Mazarine en 1853, puis bibliothécaire du palais de Saint-Cloud, il était l'ami de Georges Sand et un habitué du salon de la princesse Mathilde. Il avait été élu au fauteuil de Charles Brifaut, le 11 février 1858.

10Sardou, Victorien (1831-1908), auteur dramatique. Il écrivit de nombreuses pièces dont la célèbre Madame Sans Gêne (1893). Il était entré à l’Académie française en 1877.

11Labiche, Eugène (1815-1888), auteur de pièces de théâtre, il sera également élu à l'Académie française le 26 février 1880.

12Boissier Gaston (1823-1908), historien et philologue français. Normalien, il est alors professeur au Collège de France où il est titulaire de la chaire de poésie latine depuis 1869 et dont il deviendra administrateur de 1892 à 1894. Collaborateur de la Revue des Deux Mondes, il entrera en 1876 à l'Académie française dont il deviendra, en 1895, le secrétaire perpétuel.

13Laboulaye Édouard-René Lefèbvre (1811-1883), jurisconsulte et homme politique. Il collabora au Journal des Débats et fut un des fondateurs, en 1860, de La Revue nationale. Bien qu’il fût l’un des protagonistes de l’Union libérale, il ne se présenta pas aux élections de 1863. Candidat lors d’une élection partielle en 1866, il échoua comme en 1857, 1864, puis 1869. Élu le 2 juillet 1871, il siégea au Centre gauche avec des républicains soucieux comme lui d’ordre et de liberté. Proche de Thiers, il fut partisan d’une République « présidentielle ». Élu sénateur inamovible (décembre 1875), il continua de siéger au Centre gauche et s’opposa, en 1877, à Mac-Mahon, mettant en garde l’Assemblée contre les dangers du pouvoir personnel.

14Nisard, Désiré Jean Marie Napoléon (1806-1888), écrivain et homme politique. Collaborateur au Journal des Débats et à la Revue des Deux Mondes, il avait été nommé professeur d'éloquence latine (1833) puis d'éloquence française au Collège de France. Adversaire résolu des romantiques, il fut élu à l'Académie française le 28 novembre 1850 en remplacement de l'abbé de Féletz. Élu de la Côte d'Or de 1842 à 1848, il siégea au centre. Sous l'Empire il avait été élu au sénat où il soutint l'empire autoritaire.

15Taine Hyppolite Adolphe (1828-1893), essayiste et historien. Auteur d'un Essai sur Tite-Live couronné par l'Académie française en 1854, il avait publié deux ans plus tard Les Philosophes français du XIXe siècle, ouvrage dans lequel il critiquait la philosophie spiritualiste enseignée par l'Université. Son œuvre la plus importante demeure ses Origines de la France contemporaine qu'il commença à publier en 1876. Il collabora à plusieurs périodiques dont la Revue des deux Mondes et le Journal des Débats. Candidat à l'Académie française en 1874, il avait été battu par Elme Caro, ses idées philosophiques déplaisant à Mgr Dupanloup et à certains de ses proches. Considéré peu à peu par ceux-ci comme étant « anti-révolutionnaire », Taine sera élu le 14 novembre 1878 en remplacement de Louis de Loménie. Mort peu avant son élection, Mgr Dupanloup aurait même songé à lui apporter sa voix.

16Doucet, Camille (1812-1895), directeur général de l’administration des théâtres, élu à l’Académie française le 7 avril 1865, il sera nommé secrétaire perpétuel en 1876.

17Mézières Alfred Jean François (1826-1915), essayiste et homme politique. Normalien, professeur de littérature étrangère à la Sorbonne, il fut l'auteur de plusieurs études sur Shakespeare, Dante et Goethe. Journaliste, il participa à la fondation du temps en 1864. Élu en 1881, député de Meurthe-et-Moselle, il siégea avec les républicains opportunistes et fut constamment réélu jusqu'en 1898. Devenu sénateur de ce même département en 1900, il continua de siéger avec le centre gauche. Élu à l'Académie le 29 janvier 1874 en remplacement de Saint-Marc Girardin, il fut reçu le 17 décembre 1874 par Camille Rousset.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «28 janvier 1880», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1880,mis à jour le : 11/03/2023