CECI n'est pas EXECUTE 19 mars 1869

Année 1869 |

19 mars 1869

Ludovic Vitet à Alfred de Falloux

19 mars 1869

Mon cher ami, je crois comme vous une transaction est nécessaire, mais une transaction et non un abandon. Champagny1 comme vous le dites, satisfait en partie les amis de Berryer. Le côté chrétien couvre ce qui manque du côté politique, tandis qu’avec Duvergier2 la dissonance est presque scandaleuse. Les relations amicales qui ont pu exister en privé que le public ignore, ce qui crève les yeux c’est le politique. Je conçois donc que l’idée de ce choix révolte quelques-uns de vos amis, et il faut absolument insister pour que la plaie soit en partie pansée.

J’ai vu Thiers hier soir. J’ai cru devoir ne pas lui communiquer votre lettre et j’espère que vous m’approuverez. L’ordre dans lequel vos idées s’y produisent vous aurait désarmé. La concession précédait la transaction. Thiers aurait accepté la concession sans tenir aucun compte de la transaction. J’ai donc fait l’ouverture en disant seulement que je me croyais certain de n’être pas désavoué par vous. Ce que j’appelle l’ouverture c’est l’offre de porter Duvergier au fauteuil de Lamartine3, à condition qu’il ne disputât pas celui de Berryer. Thiers a reçu la communication avec une satisfaction évidente mais avec un embarras non moins visible, ne répondant que de sa propre bonne volonté pour cette combinaison qui lui semblait acceptable et bonne en soi, mais n’était pas bien sûr que son tyran lui permit de l’accepter. Les choses en sont donc là. Je ne crois pas que vous ayez à intervenir autrement jusqu’à votre arrivée. Si cependant vous teniez à avoir fait cette proposition vous-même et directement, envoyez-moi une nouvelle lettre ostensible dans laquelle vous ne parleriez que de la transaction et laisseriez dans l’ombre la concession.

La concession, à vous parler à cœur ouvert, me paraît impossible. C’en est une déjà et des plus grosses quant à moi que d’assurer les héritages de Lamartine à quelqu’un qui pour s’éviter la peine de l’acte d’accusation de ses anciens et plus intimes amis. Amnistier hier, glorifier c’est bien dur. Cependant pour avoir la paix, je me résignerai : mais il faut au moins concession pour concession. S’il nous faut, nous aussi, subir le joug qu’endure ce pauvre Thiers et nous courber par <mot illisible> de M. Duvergier, c’est combler la mesure, je ne me sens pas la vertu d’aller jusque-là. <mot illisible> votre proposition a l’avantage de mettre le tort, si on refuse, du côté du refusant. Insistez dans cette voie mais n’en déviez pas.

Je n’ai pas besoin de vous demander de parler pour vous seul nos causeries à ce sujet. Voyez que je pense tout haut avec vous, mais c’est pour vous, peu pour d’autres, pas même pour votre ami Andral, qui devait, je suppose, vous tenir au courant et dont je n’ai pas besoin non plus de vous signaler la perte involontaire. De la meilleure foi du monde et devoir vous dire les choses comme il est porté à les voir.

Je quitterai Paris pour une dizaine de jours mardi prochain je ne serai que de retour par conséquent que 3 ou le 4 avril si vous y arrivez plutôt. Ce ne sera je pense que de très peu de jours en tout cas écrivez-nous un mot d’ici là…. J’oubliais de vous dire que si je n’ai pas montré votre lettre à Thiers, je n’ai pas osé la communiquer à Madame de Castellane elle était souffrante hier, mais ce matin j’ai pu la lui faire livrer. Je vous prie d’excuser ce griffonnage.

Cordiales amitiés

Vitet

1Champagny, François-Joseph-Marie-Thérèse Nompère, dit Franz, comte de (1804-1882), écrivain ultra-catholique. Il fut le collaborateur de l’ancien comme du nouveau Correspondant, de L’Ami de la Religion et de la Revue contemporaine. IL avait été élu à l’Académie française le 29 avril 1869, en remplacement de Berryer.

2Duvergier de Hauranne, Prosper-Léon (1798-1881), membre du groupe des « Doctrinaires », il collabora au Globe et à la Revue française. Député du Cher de 1831 à 1848, il participa à la campagne des banquets contribuant à la Révolution de Février. Il fut élu à la Constituante et à la Législative, il siégea à droite et combattit la politique de l’Église. Emprisonné après le coup d’État puis libéré, il partit peu après en exil. Rentré en France en août 1852, il se consacra à la rédaction d’une importante Histoire du gouvernement parlementaire en France en 10 volumes et entra à l’Académie française. Après la chute de l’Empire, il avait été un partisan actif de Thiers.

3Lamartine, Marie-Louis-Alphonse de Prat de (1790-1869). Poète, écrivain et homme politique. Entré comme légitimiste à la chambre des députés sous la Monarchie de Juillet, il s'était très vite rallié à la république. Il œuvra en faveur d'un gouvernement provisoire dont il fut l'un des personnages les plus importants avant de perdre très vite sa popularité.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «19 mars 1869», correspondance-falloux [En ligne], CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, Année 1852-1870, Second Empire, Année 1869,mis à jour le : 23/03/2023