CECI n'est pas EXECUTE 13 août 1883

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13 août 1883

Louis-Jules Trochu à Alfred de Falloux

Bad-Hombourg (Prusse)

13 août 1882

Mon cher Comte

Le 6 août 1872, prenant congé à Versailles, de M. Thiers à qui je venais d’annoncer que je sortais pour toujours de l’armée, des affaires publiques et du monde, je répondais aux vives pressantes et bienveillantes observations qu’il opposait à ma résolution de retraite : j’ai étudié 40 ans, attentivement, impartialement, patriotiquement dans les évolutions successives de sa décadence, l’état moral, politique militaire de notre pays. Selon mes moyens et mes forces, j’ai lutté 20 ans, dans le milieu particulier où j’étais, contre cette décadence. À présent, je m’en vais, avec l’inébranlable conviction que le pays, fait comme il est, ne voudra plus et n’aura plus de serviteurs faits comme je suis.

Le souvenir de cette petite scène d’adieu entre l’éminent homme d’État et mon humble personne, est revenu à mon esprit a presque chacune des pages des deux excellents volumes1 que, dans une pensée bienveillante dont je s ais tout l’honneur et le prix, vous m’avez adressés.

Ce n’est pas que j’admette entre les efforts que vous avez faits et les miens, une comparaison qui serait absolument déplacée. Je n’ai été qu’un obscur instrument, vous avez été et vous vous êtes aujourd’hui, plus encore qu’autrefois, un grand exemple, mais le point commun entre nous, c’est la parfaite inutilité de nos travaux respectifs. Dans votre livre qui est toute la philosophie de l’histoire moderne de notre pays vous avez accumulé les preuves, de la grandeur chrétienne, de la consistance, de la suite, du ferme libéralisme de vos vues en matière de gouvernement, et par complément les preuves d’un talent supérieur et d’un haut ministère.

Que de titres pour mériter que « le pays, fait comme il est, ne voulait pas d’un serviteur fait comme vous êtes ! » Il n’y a pas manquer dans la presse et je doute que dans l’avenir, votre statut trouve sa place parmi celles que l’élan patriotique élève aux illustrations qu’il fait, en si grand nombre que les carrefours de nos villes n’y suffisent plus.

Ne regrettez rien, mon cher comte, votre part reste la plus digne, la plus enviable qui soit. Et quand se réalisera l’éloquente et douloureuse prédiction qui termine votre livre, que vous avez fait et dû faire conditionnelle, que pour mon compte je tiens pour assurée, votre mémoire, devant les honnêtes et les éclairés, sera au premier rang parmi celles des hommes qui ont le mieux vu, le mieux fait, le plus vaillamment combattu pour la vérité et pour la justice.

Je soigne ici la chère compagne de ma vie, comme autrefois, dans un rôle douloureux dont vous nous avez montré tous les dévouements, vous avez soigné la vôtre. Pour la troisième fois, à l’abri d’un pseudonyme, j’observe attentivement ce pays qui est encore dans l’ensemble croyant, hiérarchisé, respectueux, obéissant, ordonné, facultés qui expliquent mieux la supériorité et les succès de ses « mot illisible », que toute la stratégie de Monsieur le maréchal de Moltke2.

J’ai eu la bonne fortune de rencontrer ici, pour bien peu de jours à mon vif regret, mon digne commissaire, le général de Rochebouet3 votre voisin et votre ami. Nous n’avons pas déparlé de vous, dans de communs sentiments dont je vous renouvelle ici l’expression cordialement respectueuse.

Gle Trochu

Je serais rendu à ma retraite de Tours dès vendredi prochain

 

1Il s’agit des Discours et mélanges politiques (Paris, Plon, 1882), que Falloux venait de publier.

2Moltke, Helmuth Johann Ludwig, comte von (1848-1916), général prussien.

3Gaston de Grimaudet de Rochebouet (1847-1909), général et homme politique. Propriétaire foncier à Chaumont d'Anjou (Maine-et-Loire), il fut brièvement président du conseil sous la présidence de Mac-Mahon, du 23 novembre au 13 décembre 1877.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «13 août 1883», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1883,mis à jour le : 02/04/2023