Année 1864 |
9 juillet 1866
Adolphe Thiers à Alfred de Falloux
Trouville1, Hôtel de Paris, 9 juillet 1866
Mon cher ami,
J’ai reçu hier votre lettre à une heure où tous les départs de la poste étaient passés, et je vous écris tout de suite à mon début de journée, c’est à dire à 5 heures 1/2 du matin. J’écris à MM. Dutier2 et Farran3 de la manière la plus pressante, et je me demande si je dois vous adresser les lettres qui leur sont destinées, ou les leur fait parvenir directement. Tout examiné, je préfère le dernier parti vu que le dimanche aura l’air plus spontanée. Vous pouvez compter sur la chaleur de mes paroles, car je vous considère non seulement comme un ami, mais comme l’un des champions les plus utiles que puisse conquérir la cause libérale. Nous ne comprenons ni n’aimons la cause libérale, si, dans l’état de despotisme où nous sommes placés nous ne savons pas nous unir, et coopérer ensemble sans réserve. Sans compter que la politique étrangère est absurde, et que pour des chimères on place la France dans un étau entre un Charlequint4 disposant de plus d’allemands que CharleQuint n’en a jamais eu, et un duc de Savoie5 ayant 26 millions de sujets. On perd notre grandeur, on s’en <mot ill> notre liberté, et nous serions divisés pour des questions de dynastie, qui ne seront peut-être et probablement jamais posées, quand la vraie loi de conversation commande de se sauver du naufrage avant de savoir dans quel port on ira rechercher le <mot ill> de la folie. Adieu mon cher ami, à revoir ! Je souhaite que ce soit au Corps Législatif6 et comme vous dites à mes côtés.
Tout à vous.
A. Thiers
1Trouville-sur-Mer (Calvados).
2Dutier Jean (1794-?), avocat et homme politique. Né à Baugé, il en deviendra le maire. Conseiller général du canton, membre de l'opposition de gauche, il est élu député de collège de Baugé de 1837 à 1848. Élu comme républicain modéré à l'Assemblée constituante en 1848, il vota le plus souvent avec la droite. A la fin de la session, il rentra dans la vie privée.
3Farran, Antoine Jean (1791-1872), homme politique. Elu de centre gauche par le Maine-et-Loire sous la Monarchie de Juillet de 1837 à 1848, il fut réélu par ce même département sous l'Assemblée constituante et à la Législative où il rejoignit la droite. Il était demeuré étranger à la politique depuis le coup d'état du 2 décembre 1851.
4Sans doute Bismarck qui devient alors l’homme fort de la Prusse.
5Victor-Emmanuel II, (1820-1878), prince de Piémont, comte de Nice et roi de Sardaigne de 1849 à 1861, il fut le premier roi d'Italie de 17 mars 1861 jusqu'à sa mort.
6Falloux, qui a décidé de se porter candidat à l'élection partielle de Baugé-Segré, sollicite l'appui de ses amis et de ses relations et en particulier le soutien des libéraux du Maine-et-Loire.
