1885 |
22 août 1885
Charles Tresvaux du Faval à Alfred de Falloux
Le bois Cornillé à Val d’Izé (Ille-et-Vilaine), 22 août 1885
À Monsieur le comte de Falloux,
Platon a dit un jour : « La jeunesse est légère »
il eut pu dire autant du reste de la terre
à notre triste époque où l’on voit les cerveaux
troublés chercher l’erreur et n’aimer que le faux.
Sitôt qu’un mécréant contre le droit s’assure,
la foule des badauds, vrais moutons de Panurge,
le proclame son chef. Le plus grossier flatteur
est sûr d’être acclamé, pourvu qu’il soit menteur.
Il lui suffit d’oser, pour voir son impudence
obtenir des niais la suprême puissance,
oracle incontesté, comme fut Gambetta,
imposer son caprice à ce siècle apostat.
Quand il prend pour ses Dieux tous ces menteurs impies,
qui pourrait s’étonner de toutes ses folies ?
O France grand pays, terre de vérité,
quoi, dans ton sein, jadis berger d’honnêteté
ne peut-on plus trouver ces âmes droites, fière des cœurs si généreux, ces nobles caractères qu’admirait, qu’enviait jadis le monde entier, qui des peuples voisins l’avaient fait le 1er ?
Hélas ! De plus en plus petit En est le nombre.
La lumière décroît, lorsque s’épaissit l’ombre,
et quand un noir nuage envahit l’horizon,
le soleil luit toujours, mais pâle est son rayon.
Et pourtant, grâce à Dieu, lorsque tout périclite,
la France compte encore de ces âmes d’élite
qui, voyant où fléchir dans la servilité,
gardent l’indépendance et la fidélité
qui sans s’inquiéter de dire de la foule,
sans jamais s’émouvoir de tout ce qui s’écroule
reste calme et fier comme étaient leurs aïeux
ne craignant rien, sinon la colère des Cieux.
Voiliers toujours debout au soir des flots qui passent
Flots montant aujourd’hui que demain d’autres chassent
ils deviendront un jour les témoins redoutés
des mensonges du siècle et de sa lâcheté
ce jour, quand sonnera l’heure de la justice,
on entendra donner leurs voix accusatrices
et, fuyant vainement leur regard scrutateur
à leurs pieds ramperont leurs anciens insulteurs
avons-nous été fous crieront ces misérables
vous ! Oui, mais ajouter encore plus coupables
Car vous eûtes toujours entière liberté
de rechercher l’erreur ou bien la vérité
et lorsque de ce choix dépende mort ou vie
d’un peuple l’on devient, aux yeux de la patrie
Comme au regard du ciel, ou des sauveurs bénis,
des bourreaux criminels et justement maudits
Lorsque se réglera l’inévitable compte du siècle aveugle et sourd, pour vous, Monsieur le comte
ce sera la revanche Oh ! Ce jour-là les fous dédaigneront les Chesnelong, Keller, Le Flô1, Falloux
frappant leur poitrine. Et, sur vos fronts, l’histoire effacera l’affront sous un rayon de gloire
Vous inscrivant parmi les plus grands citoyens,
comme le Christ parmi ses fidèles chrétiens
L’injure dans le temps, sans nul doute est cruelle
Mais qu’est-ce comparé à la gloire immortelle ?
Déjà, dés ici-bas qu’elle vouloir pour vous d’avoir fait cette loi, l’heureuse loi Falloux
qui, malgré tant d’efforts révolutionnaires, pour l’abattre, permet pourtant encore au père
D’élever ses enfants, comme il fut élevé
chrétiennement ! Un jour notre pays sauvé
voyant de cette loi quelle était la puissance,
vous dira son amour et sa reconnaissance,
et, louant vos travaux d’académicien,
vouera bien plus encore l’œuvre du grand chrétien.
Pour votre noble cœur cet honneur doit suffire
Continuez votre œuvre, et laisser les fous dire.
Ch. Tresvaux du Fraval2
1Le Flô, Adolphe Charles Emmanuel (1804-1887), général français. Entré à Saint Cyr en 1823, il s’illustra en Afrique du Nord. Promu général en juin 1848, il fut élu député du Finistère à la Constituante où il siégea à droite. Réélu en mai 1849, il combattit Louis-Napoléon. Prévoyant le coup d’État, il soutint comme questeur la proposition Baze de donner au président de l’Assemblée le pouvoir de faire appel directement à la force armée. Arrêté le 2 décembre, il fut incarcéré à Vincennes puis à Ham. Expulsé par décret le 9 janvier 1852, il vécut en Belgique puis en Angleterre. Autorisé à rentrer en 1857, il se retira dans son château, près de Morlaix. Il offrit ses services au moment de la guerre contre l’Allemagne mais il ne fut pas réintégré. Après le 4 septembre 1870, il fut appelé par le gouvernement de la Défense nationale au ministère de la Guerre. Élu à nouveau député du Finistère en 1871, il fut nommé ambassadeur à Saint-Petersbourg. En 1875, il refusa un siège de sénateur inamovible.
2Tresvaux du Fraval, Charles-Marie (1838-1901), écrivain et historien, zouave pontifical.