CECI n'est pas EXECUTE 14 novembre 1875

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14 novembre 1875

Alfred de Falloux à Félix Dupanloup

14 novembre 1875

Cher seigneur, Albert [de Rességuier] me demande expressément de vous dire si je partage ou non son sentiment sur une question où il se permet de vous résister, et je suis obligé pour lui obéir de vous avouer que je me range à son avis. je n'ai pas besoin de vous dire qu'une augmentation de 50 ou de 100 francs et même davantage ne me paraîtrait nullement excessive. Je suis, croyez-le bien, fort sensible aux considérations qui ont ému votre cœur. Albert ne l'est pas moins, mais la question n'est pas là. Si Rome avait gardé la ligne qui lui a été si profitable tant qu'elle l'a suivie, si ses journaux connaissaient un peu la pudeur et n’entraînaient pas le clergé dans des voies stupéfiantes, cette motion aurait été accueillie avec une vive sympathie. Mais après avoir provoqué à plaisir l'hostilité et l'impopularité, au moment même où l'on fait de votre conquête de l'enseignement supérieur un usage si peu réfléchi et si dangereux votre proposition rencontrerait grande chance d'un accueil fort contesté au sein de l'Assemblée et fort exploité en dehors d'elle. Ce n'est pas seulement le clergé qu'elle pourrait compromettre, ce sont les députés qui l’auraient votée et qu'on signalera dans les élections auxquelles nous touchons comme des fanatiques sans patriotisme et sans entrailles qui satisfont à l'avidité du prêtre quand le paysan et l'ouvrier suent sang et eau pour payer les frais de la guerre et relever la France. Je vis, il est vrai, dans un diocèse où l'évêque1 est absolument insensé et déploie un despotisme sans mesure pour englober ses curés dans tous ses caprices et j'ai sous les yeux les plus déplorables résultats. Peut-être cela me rend-il trop méfiant et trop inquiet par l'inclination qu'on a toujours malgré soi à conclure du particulier au général mais ma situation locale est aussi un argument et je me dis : puisque dans l'Ouest des populations parfaitement chrétiennes en sont venues à ce degré de murmure et d'irritation qu'est-ce donc dans les contrées moins chrétiennes ! Notre évêque, toujours aux abois en matière d'argent, a soulevé dernièrement une question d'augmentation de tarif pour les messes et les services funèbres. Les curés s’en sont aussitôt épouvantés et c'est du sein des conférences ecclésiastiques que sont parties les premières oppositions. Sondez donc bien votre terrain cher Seigneur. Consultez des hommes appartenant à des régions diverses, promenez bien votre regard pénétrant tout autour de vous et demandez-vous si la pauvreté relative du clergé ne lui a pas été plus profitable dans le 19e siècle, sa richesse dans le XVIIIe et concluez en ne vous inspirant que du meilleur service de Dieu. J'ai écrit hier à l’abbé Lagrange au sujet de l'Académie. Pensez-y bien aussi, cher Seigneur, et rendez-vous bien compte que l'élection2 de Jules Simon, au beau milieu de la crise actuelle, redoublera de gravité.

Vôtre plus respectueux ami. Alfred 

1Mgr Freppel.

2Jules sera nommé peu après sénateur inamovible le 16 décembre 1875, et le même jour il était élu à l'Académie française en remplacement de Charles de Rémusat


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «14 novembre 1875», correspondance-falloux [En ligne], BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, Troisième République, CORRESPONDANCES, 1875,mis à jour le : 30/06/2023