1884 |
30 décembre 1884*
Alfred de Falloux à Albert de Rességuier
30 décembre 1884*
Cher ami, j’ai reçu hier votre bonne lettre avec toutes vos nouvelles. Je suis très heureux de savoir de retour Berthe1 et Paul junior2. Je craignais beaucoup qu’un voyage dans une telle saison et dans de telles conditions ne fit courir quelques mauvais risques aux voyageurs. Grâce à Dieu, il n’en est rien.
Je m’en réjouis autant que je m’en suis inquiété et je vous offre à tous mes félicitations en même temps que mes vœux les plus fidèles et les plus sincères. Je ne suis pas étonné et surtout pas indigné autant que vous d’un second mariage du Mis de Forbin3. Je suis convaincu qu’il était veuf, bien avant la mort de la pauvre Forbine4, et je vous demande de me dire si vous savez ou si l’on sait autour de vous ce qu’est Mlle de Boisgelin5. Est-elle absolument jeune ou commençait-elle déjà à se préoccuper de Ste-Catherine, patronne des vieilles filles. J’attendrai votre réponse sur ce sujet délicat, avant de me réjouir ou de m’alarmer.
Je n’étais pas en train de sympathiser avec les Ségur, quand votre lettre est arrivée ; j’achevais le 3ème volume des lettres de Louis Veuillot6. Elles sont, pour les 3/4 adressées à Mlle Élise7 Veuillot, qui n’était évidemment pas une bonne inspiratrice et pour le dernier quart, à Mme de Pitray8, née Ségur. C’est d’un bout à l’autre une goinfrerie encore plus endiablée que dans les 2 volumes précédents. C’est la note presque exclusivement dominante, parce que, cette fois, on a supprimé tout ce qui n’était pas dans cette note favorite. On lit des lettres de 69,70,71,72, sans y trouver une seule trace, un seul écho de Paris ou de Versailles, de la guerre, de la chute de l’Empire, de la république. Tout ce qui ne regarde pas la vie privée a été rigoureusement supprimé. En revanche, les détails intimes abondent. On y trouve plusieurs descriptions des lavements abondants qu’on appelle à Plombières9 des douches ascendantes. On y apprend que nous avons dans le ventre 5 kilom. de boyaux qui, par cet ingénieux moyen, se trouvent merveilleusement rincés. On y lit des anecdotes pieuses telles que celle-ci : « Ah ! ma bonne femme, vous avez encore de belles dents ! » – « Ah ! Monsieur, ce ne sont plus les dents d’avant, j’ai perdu les 5 dents que j’avais dans le derrière ! » Il apparaît, en outre, jusqu’à la dernière évidence que Mme de Pitray est une fameuse marchande de fromages. C’est peut-être une réclame. Voilà uniquement pourquoi j’en avertis les habitants de Faye10, en même temps que je les embrasse tous avec mille vœux qui durent toute l’année, mais que j’aime à redoubler quand l’année recommence.
Alfred
*
9 mai 1879*
Cher ami,
Monsieur de Grandlieu1 ayant mis en situation de réclamer la présidence du Conseil et le portefeuille de M. Ferry, je vous arrive avec cette double ambition. Mon intention est aussi de vous confier l’ambassade de Rome et je vous en avertis d’avance pour que vous preniez disposition comme je prends les miennes.
M. Letort2 venu hier pour me féliciter a, en même temps, soigneusement examiné Mme de Caradeuc3. Il la trouve aussi bien que possible dans son état et autorise mon absence pourvu qu’elle ne soit pas longue. Je pars donc demain pour Angers4, j’y ferai rapidement mes affaires et, si Dieu le permet, je vous embrasserai tous avec grande joie dans l’après-midi
de lundi.
Alfred.
*Lettre publiée par Gérald Gobbi, Alfred de Falloux et Albert de Rességuier,une amitié dans le siècle. Correspondance 1879-1886, Paris, Société des Écrivains, 2013.
1C’est sous ce pseudonyme que Léon Lavedan collaborait au Figaro.
2Médecin de famille des Falloux.
3Belle-mère d’Alfred de Falloux, Mme de Caradeuc de La Chalotais, descendante de Louis-René de Caradeuc de La Chalotais, célèbre procureur général au Parlement de Rennes (1701-1788).
4Depuis le décès de son épouse, Falloux faisait souvent des séjours dans sa maison de l’Impasse des Jacobins, à Angers.
1Berthe Benoist d'Azy, la fille d'A. de Rességuier.
2Le fils de Berthe.
3Chevaliers de l’Ordre de Malte et de Saint-Jean de Latran, Louis Palamède de Forbin d’Oppède (1816-1900) est marquis de Forbin. Veuf, il avait épousé en première noce, Roselyne de Villeneuve-Bargemont. Les Forbin faisaient partis du cercle relationnel de Montalembert.
4Forbin d'Oppède, marquise née Marie Aglaé Roselyne de Villeneuve-Bargemon (1822-1884), historienne. Très lié aux catholiques libéraux, elle tenait un salon fréquentée par nombre d'entre eux et plusieurs intellectuels et hommes politiques de l'époque. J.-R. Palanque a édité une partie importante de sa correspondance, Une catholique libérale du XIXe siècle: la marquise de Forbin d'Oppède d'après sa correspondance inédite, Leuven/Louvain, Editions Nauwelaerts/Revue d'Histoire Ecclésiastique, 1981, 466 p.
5Louise de Boisgelin (1851-1933). Elle épousa le marquis de Forbin le 15 janvier 1885.
6Les volumes 2 et 3 étaient consacrés à sa correspondance avec sa sœur ; Société générale de Librairie catholique, Paris 1884.
7Sœur cadette de Louis Veuillot. Depuis leur voyage en Espagne de 1879, partagé avec le père, Élise s’occupait de son frère devenu incapable d’écrire. Dévouée, restée sciemment célibataire, sa vie durant la sœur du grand journaliste n’aura de cesse de le soutenir moralement dans les épreuves, assurant le rôle de mère pour ses deux nièces depuis la mort de leur mère en 1861.
8Olga de Ségur (1835-1890) épousa en 1856 le vicomte Louis de Pitray (1822-1888). Sa sensibilité religieuse était proche de celle de Louis Veuillot avec lequel elle entretint une relation épistolaire.
9Station thermale des Alpes savoyardes, créée et développée par Napoléon III dans le cadre de la médecine nouvelle. La spécialité de la station est dans le traitement laxatif.
10Château de Faye, dans la Nièvre, domaine appartenant à la famille Benoist d'Azy, à laquelle A. de Rességuier est apparenté, sa fille ayant épousé un membre de la famille Benoist d’Azy.
