CECI n'est pas EXECUTE 10 janvier 1885*

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10 janvier 1885*

Alfred de Falloux à Albert de Rességuier

10 janvier 1885*

Cher ami,

Les bouches de M. Cochery1 qui s’ouvraient d’ordinaire pour moi dès 8 heures du matin restent comme fermées la journée entière et ne s’ouvrent plus qu’à 8h du soir, aujourd’hui 10 janvier sous prétexte de premier de l’an ce qui est tout à fait ridicule le 10 janvier. Lorsque je reçois une ou deux cartes ou 2 ou 3 lettres de plus que dans le cours habituel de l’année. Je suis contraint de vous le dire par la dure nécessité, mais Cochery n’est qu’un charlatan qui aime bien mieux lire les lettres que les porter et dont la bouche ne sert plus qu’à crier : « Vive la république ! » dès qu’il est en présence de l’auguste M. Grévy. Si j’étais Mme Hugues je tirerai sur lui, comme sur un lapin, heureusement je ne suis plus qu’un vieillard timide élevé dans la crainte de Dieu, monsieur, et des sergents.

Tout ceci est pour vous dire que j’ai reçu hier au soir, en même temps que votre lettre, la visite inattendue de M. Denais2. Sans vous nommer et sans donner davantage le P. Pierling3, je lui ai lu le bulletin de Léon XIII, il en a paru surpris et m’a dit avoir reçu tout récemment une lettre du cardinal Czacki4 lui donnant de fortes raisons de croire le contraire. J’ai donc été obligé de choisir entre eux les 2 témoignages. J’ai choisi le vôtre sans hésiter – 1° parce que les excellents P. jésuites ont beaucoup de raisons pour ne pas se tromper sur ce chapitre. 2° parce que j’y trouve une nouvelle raison de confondre la jalousie qui conteste ou qui dénature depuis si longtemps la belle parole de Rodolphe : « Alfred a toujours raison. »

Quant au voyage d’Italie, je n’irai ni plus ni moins, 1° j’y vais pour ma propre satisfaction qui sera grande si je revois Rome encore une fois avant de mourir, 2° je ne veux faire qu’une excursion de touriste, rêvant de midi sous la neige et sous la brise. 3° je ne porterai ni ne rapporterai aucune affaire soit avec le Pape, soit de la part du Pape. Je le laisserai se débrouiller avec le bon Dieu, comme il pourra, et gouverner l’Église comme il voudra. Je vois que nous marchons des deux côtés à la séparation de l’Église et de l’État. Du moment où on le veut à Rome autant qu’à Paris, il faut en prendre son parti et le mieux à tout prix. Si l’on fait de l’église du Bourg d’Iré un magasin de blé, j’ouvrirai une chapelle de tout mon cœur et je tâcherai d’assister, comme vous à la messe tous les matins. Est-ce là une raison qui puisse nous faire reculer, où Geneviève, où Berthe5 qui ont toutes deux des chapelles. En attendant le résultat de la grrrande [sic] politique de Léon XIII.

Dites au marquis Costa6 qu’il est un bavard et faites-le taire, si vous pouvez. Si je lui ai parlé de mon départ, ce dont je ne me souviens pas, c’était en lui répondant non à Paris, mais lorsque je le croyais dans les montagnes du Dauphiné où il était censé soigner sa femme en attendant qu’il vînt voir sa fille à Ancenis en lui annonçant qu’il ne me trouverait plus à Angers mais je lui ai certainement recommandé le secret, sans y croire et sans y tenir beaucoup. Néanmoins j’aimerais entendre le silence. Je dînerai lundi à Rochecotte, si Dieu le permet.

Alfred.

 

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9 mai 1879*

Cher ami,

Monsieur de Grandlieu1 ayant mis en situation de réclamer la présidence du Conseil et le portefeuille de M. Ferry, je vous arrive avec cette double ambition. Mon intention est aussi de vous confier l’ambassade de Rome et je vous en avertis d’avance pour que vous preniez disposition comme je prends les miennes.

M. Letort2 venu hier pour me féliciter a, en même temps, soigneusement examiné Mme de Caradeuc3. Il la trouve aussi bien que possible dans son état et autorise mon absence pourvu qu’elle ne soit pas longue. Je pars donc demain pour Angers4, j’y ferai rapidement mes affaires et, si Dieu le permet, je vous embrasserai tous avec grande joie dans l’après-midi

de lundi.

Alfred.

 

*Lettre publiée par Gérald Gobbi, Alfred de Falloux et Albert de Rességuier,une amitié dans le siècle. Correspondance 1879-1886, Paris, Société des Écrivains, 2013.

 

1C’est sous ce pseudonyme que Léon Lavedan collaborait au Figaro.

2Médecin de famille des Falloux.

3Belle-mère d’Alfred de Falloux, Mme de Caradeuc de La Chalotais, descendante de Louis-René de Caradeuc de La Chalotais, célèbre procureur général au Parlement de Rennes (1701-1788).

4Depuis le décès de son épouse, Falloux faisait souvent des séjours dans sa maison de l’Impasse des Jacobins, à Angers.

1Cochery Louis Adolphe (1819-1900), avocat et homme politique français. Fondateur du journal L'Indépendant de Montargis, il se dévoua durant tout le Second Empire au journalisme. Nommé, le Ier mars 1878, directeur du service des Postes et Télégraphes au sein du sous-secrétariat d’État aux Finances, il fut le premier détenteur du ministère des Postes et Télégraphes créé le 5 février 1879 et occupa ce poste jusqu'au 30 mars 1885. Élu député du Loiret sans interruption de 1869 à 1888, il siégea au centre gauche jusqu'en 1876 puis avec la gauche républicaine. Élu au sénat en 1888, il y siégera jusqu'à sa mort.

2Denais Joseph (1851-1916), écrivain et journaliste angevin. Il fit son apprentissage de journaliste à 17 ans en collaborant à l'Union de l'Ouest et au Répertoire archéologique de l'Anjou. En 1876, Mgr Dupanloup l'avait appelé à Paris pour collaborer à La Défense dont il devint en 1879 le rédacteur en chef sous le pseudonyme de J. Hairdet. Fondateur, en 1886 de L'Observateur français, il fut secrétaire de l'Association des journalistes parisiens. Ancien collaborateur de L'Union de l'Ouest, J. Denais était le rédacteur en chef de La défense.

3Pierling, Paul (1840-1922), prêtre jésuite russe, historien de la Russie et du monde slave.

4Czacki Włodzimierz, Mgr (1835-1888). Nommé par Léon XIII à la nonciature de Paris, il fut chargé d'appliquer la nouvelle politique du Saint-Siège et en particulier de convaincre les catholiques de ne plus lier leur intérêts à la cause royaliste et d'accepter les nouvelles institutions que la France s'était données. Secrétaire de la Congrégation des Études de 1875 à 1877, secrétaire de la Congrégation des Affaires ecclésiastiques extraordinaires de 1877 à 1879, nonce à Paris à partir du 19 septembre 1879, cardinal en 1882.

5Geneviève et Berthe sont deux des filles d’Albert de Rességuier.

6Costa de Beauregard Marie Charles Albert (1835-1909), historien et homme politique. Légitimiste et catholique, il avait été élu député de Savoie en 1871. Ayant refusé de se représenter en 1876, il se retira de la politique pour se consacrer à l'histoire de la Savoie et de la monarchie publiant plusieurs ouvrages, en particulier sur le roi Charles-Albert.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «10 janvier 1885*», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1885,mis à jour le : 08/08/2023