CECI n'est pas EXECUTE 19 janvier 1885*

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19 janvier 1885*

Alfred de Falloux à Albert de Rességuier

19 janvier 1885*

Cher ami,

Je suis désolé pour lui et pour vous de la mort de M. de la Béraudière1. J’ai senti, à cette mort, que je tenais à lui par deux liens plus étroits que je ne le pensais de son vivant ! Il était angevin, il parlait de Paul2 et de vous avec beaucoup d’affection. Votre déménagement me déplairait autant qu’à vous, ce qui ne serait pas peu dire mais pourquoi déménageriez-vous ? Est-ce que vous n’aviez pas renouvelé votre bail, il y a très peu d’années ? Est-ce que vous n’êtes pas dans des conditions où il serait impossible de vous renvoyer, même avec la plus mauvaise volonté ? J’ai bien besoin que vous me fixiez là-dessus tout de suite, car vous vous auriez bien de la peine à trouver un logement aussi agréable à égale distance de Berthe3 et de l’hôtel des ministres. Mme de Castellane s’en préoccupe au même degré pour vous trois et se joint à moi pour vous demander une sécurité là-dessus.

Pour mon compte, je ne diffère avec vous que sur l’appréciation du mois de février et nous sommes absolument d’accord sur l’impossibilité pour moi ou sur la folie d’entreprendre un long voyage dans les conditions que nous subissons aujourd’hui. Soyez parfaitement sûr que si le froid ou la neige vous donne raison, si l’hiver qui, selon moi, finit toujours avec le mois de janvier, se prolonge au-delà contre les dires et contre ses habitudes, je me hâterai d’avouer mes torts et d’y conformer ma conduite. En tous cas, je prolongerai mon séjour ici enveloppé de calorifères, jusqu’à la fin de la semaine. Je m’arrêterai 24 heures à Tours pour rendre une visite à Mgr Meignan qui est venu très affectueusement passer 24 h. ici dès qu’il a su mon arrivée. De Tours, j’irai à Paris 1° pour vous voir, 2° pour prendre des ordres de M. le comte de Paris 3° pour m’accorder la satisfaction de ne pas aller à l’Académie. Quel camarade elle s’était donnée dans la personne de M. About. Quel joli panégyrique M. Caro4 devra prononcer à l’enterrement civil de M. About5. Comme il est triste de voir en France le suffrage le plus restreint et même le plus quintessencié aboutir au même résultat que le suffrage universel. Où se réfugier ? J’aime encore mieux le trottoir. Ce n’est pas plus loin du ruisseau et cela peut mener au moins aux Tuileries ou au Jardin d’Acclimatation. J’aime mieux m’acclimater au jardin des girafes et des phoques qu’à celui de M. Doucet.

Au revoir, au revoir bien prochain, je l’espère, cher ami.

Alfred

*

9 mai 1879*

Cher ami,

Monsieur de Grandlieu1 ayant mis en situation de réclamer la présidence du Conseil et le portefeuille de M. Ferry, je vous arrive avec cette double ambition. Mon intention est aussi de vous confier l’ambassade de Rome et je vous en avertis d’avance pour que vous preniez disposition comme je prends les miennes.

M. Letort2 venu hier pour me féliciter a, en même temps, soigneusement examiné Mme de Caradeuc3. Il la trouve aussi bien que possible dans son état et autorise mon absence pourvu qu’elle ne soit pas longue. Je pars donc demain pour Angers4, j’y ferai rapidement mes affaires et, si Dieu le permet, je vous embrasserai tous avec grande joie dans l’après-midi

de lundi.

Alfred.

 

*Lettre publiée par Gérald Gobbi, Alfred de Falloux et Albert de Rességuier,une amitié dans le siècle. Correspondance 1879-1886, Paris, Société des Écrivains, 2013.

 

1C’est sous ce pseudonyme que Léon Lavedan collaborait au Figaro.

2Médecin de famille des Falloux.

3Belle-mère d’Alfred de Falloux, Mme de Caradeuc de La Chalotais, descendante de Louis-René de Caradeuc de La Chalotais, célèbre procureur général au Parlement de Rennes (1701-1788).

4Depuis le décès de son épouse, Falloux faisait souvent des séjours dans sa maison de l’Impasse des Jacobins, à Angers.

1La Béraudière, Jacques Victor (1819-1885), propriétaire.

2Paul de Rességuier (1813-1889), frère aîné d'Albert de Rességuier.

3Berthe Benoist d'Azy, née de Rességuier, fille d'Albert de R.

4Caro Elme Marie (1826-1887), professeur de philosophie. Disciple de V. Cousin, il publia plusieurs ouvrages de philosophie spiritualiste et fut élu contre H. Taine à l'Académie française le 29 janvier 1874 en remplacement de Ludovic Vitet.

Perturbé à diverses reprises au cours du mois de janvier par des manifestations étudiantes qui reprochaient à Elme Caro, leur professeur, d'avoir dénoncé les attitudes anticléricales d'Edmond About (voir note infra) au moment de ses funérailles, son cours de philosophie spiritualiste et catholique fut suspendu le 6 février sur ordre du gouvernement jusqu'à la fin de l'année. L'affaire suscita un vif émoi parmi les conservateurs.

5About, Edmond (1828-1885), écrivain et journaliste. Partisan du régime impérial, il était très anticlérical, s’attaquant tout particulièrement aux miracles de Lourdes et au pouvoir temporel du pape. avait notamment publié un pamphlet intitulé Question romaine. About Imprimée à Bruxelles, cette brochure très anticléricale avait reçu l’autorisation d’être distribuée en France. En 1872, il prit la direction du XIXe siècle. Il était mort le 16 janvier 1885, avant d'être reçu à l'Académie française où il venait d'être élu. Rédacteur au Journal des Débats, et non au Gaulois, d'où la remarque amusée de L. Lavedan, Léon Say était candidat à la succession d'Edmond About. Son élection à ce fauteuil ne sera effective qu'un an plus tard, le 11 février 1886.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «19 janvier 1885*», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1885,mis à jour le : 08/08/2023