1885 |
20 avril 1885*
Alfred de Falloux à Albert de Rességuier
20 avril 1885*
Cher ami,
La lettre de Cumont a été tardive, mais enfin elle est arrivée, apportant la liste que j’avais contribué à préparer et dont je crois le succès assuré, si le scrutin de liste nous avons, car plus j’en ai envie, plus je garde l’inquiétude que nos adversaires en perdent le goût. En attendant que la question soit vidée, voici l’évêque bien averti du complet échec de ses intolérables prétentions et voilà Hervé Bazin1 qui ne s’est occupé depuis dix ans qu’à chercher le meilleur chemin qui mènerait à la députation, impitoyablement rayé et bien convaincu désormais qu’il s’est complètement trompé en s’attachant au malheureux évêque2 qui aurait bien voulu mettre le parti conservateur sans dessus dessous, comme il a mis son clergé.
Il ne réussira pas aussi facilement dans la seconde besogne que dans la première. En apprenant cette nouvelle, Henri d’Armaillé3 s’est écrié que nous allions causer une terrible division. J’ai essayé de lui démontrer qu’il n’en serait rien, qu’Hervé Bazin n’entraînerait personne parce qu’il ne représentait plus que de vieilles lunes et s’était attardé dans de vieux chemins qui n’aboutissaient plus à rien et dans lesquels on ne rencontrerait presque plus de passants et encore moins d’électeurs. Il ne m’a pas paru persuadé mais découragé et a fini par dire piteusement : « Après tout, je ne vois pas pourquoi je me donnerai tant de peine pour un roi qui n’existe plus. » Je persiste donc à croire que le comité a pris le bon parti et que sa liste réussira. Où en êtes-vous dans le Gers ?
Les Blois ont été un peu tourmentés par Lili4 qui a été pris d’une assez grosse grippe ou peut-être menacé de la coqueluche.
Nous avons fait venir de Candé5 M. Rimbault, le successeur de M. Letort6 et mon premier instrument de représailles contre l’indigne M. Poitevin. Il a été rassurant pour le petit Lili et très satisfaisant en lui-même. Me voilà au moins sûr de mourir en bonnes mains, si je meurs au Bourg d’Iré. À ce propos, je dois vous rappeler que vous m’avez promis de me renvoyer mon testament et la date du petit codicille dont vous devrez rester dépositaire. Pensez-y quand vous le pourrez et chargez cette lettre qui ne causerait pas un grand dommage si elle se perdait, puisque le double est dans le tiroir de Georges7, mais sur laquelle j’aime mieux avoir le cœur net, puisque d’autres s’en préoccupent. Nous avons été voir, Georges et moi, le curé et le vicaire, qui, loin de vous garder rancune parlent de l’un et de l’autre avec la plus parfaite justice et le plus vif désir de vous revoir. Je n’ai pas du tout de bonnes nouvelles de Mme de Castellane. Toutefois elle persiste dans son projet de Berlin par Paris. La date du 29 juin choisie par l’Académie pour son scrutin m’est fort incommode.
C’est trop tôt pour prendre les eaux avant et trop tard pour ne les prendre qu’après, car au mois de juillet, c’est la foule et je n’aurai pas à Aix une bonne petite maison solitaire et à part, comme à Évian. En tout cas, au revoir prochain, cher ami, c’est-à-dire entre le 15 et le 20 mai, en sortant du concours régional d’Angers.
Mille tendresses
Alfred
*Lettre publiée par Gérald Gobbi, Alfred de Falloux et Albert de Rességuier,une amitié dans le siècle. Correspondance 1879-1886, Paris, Société des Écrivains, 2013.
1Hervé-Bazin, Ferdinand Jacques (1847-1889), avocat, professeur de droit et journaliste. Acquis aux thèses du catholicisme social d'Albert de Mun, il s'était vu confier par Mgr Freppel la charge de professeur à la faculté catholique de Droit qui s'était ouverte à Angers en 1875.
3Henri d'Armaillé (1820-1892), fervent légitimiste, propriétaire du château de La Douve, au Bourg d’Iré, proche voisin de Falloux, il avait été élu maire de Segré le dimanche 16 janvier 1881.
4Leur fils Louis de Blois, qui sera officier de marine puis sénateur.
5Commune du Maine-et-Loire.
6Médecin de famille des Falloux.
