1885 |
26 juin 1885
Alfred de Falloux à Albert de Rességuier
Bagnoles1, 26 juin 1885
Cher ami,
je suis enchanté de mes premières impressions à BagnolesJ e suis en pleine forêt de sapins et en plein ermitage avec une chapelle, un curé et un aumônier, pas un seul baigneur. J’aurai une vaste piscine à moi tout seul et le médecin que j’ai déjà vu a une bonne moyenne d’expérience. Son visage flotte entre 40 et 50 ans. Ne m’ayant trouvé aucune maladie, il me promet de me guérir. Puisse le médecin de Dieppe2 vous en dire autant pour vous et pour tous les vôtres. Dès demain matin, je prendrai mon premier bain. Je suis aussi impatient de l’eau chaude que vous l’avez été de l’eau froide. Des bains que nous prenons, il connaît la différence.
J’ai laissé Paris et l’Académie dans l’état où je les avais trouvés, Paris, absolument vide quand vous n’y êtes pas et l’Académie, très insupportable quand je vois que c’est Pailleron3, Sardou4 et Alexandre Dumas5 qui la mènent. Alex Dumas m’a dit en sortant : Les voilà 4 à présent qui vont jouer aux whist avec un mort jusqu’à l’hiver prochain. On croit le mort assez bien mort pour ne pouvoir plus ressusciter, si ce n’est sous la figure de Gustave Droz6, M. de Bornier7 croit que ce sera sous la sienne, mais je crains bien qu’il ne se fasse illusion.
Mille millions de tendresses.
Alfred.
1Bagnoles-de-l’Orne (Orne). Ville de cure thermale où Falloux était allé se soigner.
2En Seine Maritime.
3Pailleron Edouard (1834-1899), poète et auteur de comédies. Journaliste, il collaborait notamment à La revue des deux-mondes. Il avait été élu à l’Académie française en 1882. Son discours de réception fut prononcé le 17 janvier 1884.
4Sardou, Victorien (1831-1908), auteur dramatique. Il écrivit de nombreuses pièces dont la célèbre Madame Sans Gêne (1893). Il était entré à l’Académie française en 1877.
5Alexandre Dumas fils (1824-1895), auteur dramatique et romancier. Il avait été élu à l’Académie française le 29 janvier 1874.
6Éditeur parisien.
7Bornier, Henri Étienne Charles de (1825-1901), poète, romancier et critique théâtral. Auteur de très nombreux ouvrages dont La Fille de Roland (1875) et Les Noces d'Attila (1880), ce n'est qu'en 1893 qu'il sera élu à l'Académie française.
