CECI n'est pas EXECUTE 18 juin 1885

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18 juin 1885

Alfred de Falloux à Albert de Rességuier

Paris, 18 juin 1885*

Cher ami,

je vous ai regretté en ouvrant les yeux et je vous ai regretté encore davantage, si c’est possible, durant la séance de l’Académie dont j’ai bien joui. Votre place y était bien marquée, parmi les applaudissements les plus satisfaits, mais je dois dire que le duc de Broglie qui était venu s’asseoir à côté de moi, vous remplaçait presque, tant les manifestations de sa joie étaient franches et résolues ! M. Duruy1 ne paraissait avoir aucune conscience de son infériorité, cependant il a lu son discours du ton le plus découragé et le plus morne. Il avait l’air d’avoir renoncé d’avance à l’approbation du public, comme le public aussi paraissait bien résolu à ne la lui accorder qu’à toutes petites doses. Ce public qui tombe toujours, comme les nues au milieu de Paris, s’est réveillé et s’est soutenu à la plus parfaite hauteur et dans la plus chaleureuse sympathie, tant que l’évêque a parlé2. On dit avec justice qu’il y a deux France. Il y a certainement aussi deux Paris. Malheureusement, l’un ne tient aucun compte de l’autre. Nous applaudissons à tout rompre ceux qui demandent le bien en face de ceux qui font le mal, mais ceux qui font le mal se moquent de ceux qui demandent le bien et on les laisse faire. J’avais, à ma droite, le duc d’Aumale qui avait très bon air et très bonne mine. J’avais à ma gauche, sur un tabouret, le prince Napoléon3 qui, en vieillissant, a pris l’air d’un monstre. N’étaient-ce pas encore là les deux Paris ?

L’un qui est prêt à tout oser, l’autre qui est prêt à tout souffrir, pourvu qu’on lui laisse une certaine liberté et une certaine dignité d’applaudissements. Combien cette singulière situation durera-t-elle ? Demandez-le à Berthe et transmettez-moi son pronostic en même temps que l’avis, sur la musique, de Camille, avis qui je l’espère, sera conforme aux bons principes, c’est-à-dire à ma thèse si obstinément calomniée par vous, ce qui ne m’empêche pas, cher ami, d’aller pleurer ce soir avec Paul, dont le rare mérite, comme frère, nous fait passer par-dessus toutes les imperfections d’une méthode qui m’est chère mais qu’il exagère. Quand je pense que je dois passer ici 8 jours, j’en suis stupéfait !

Alfred

 

*Lettre publiée par Gérald Gobbi, Alfred de Falloux et Albert de Rességuier,une amitié dans le siècle. Correspondance 1879-1886, Paris, Société des Écrivains, 2013.

1Duruy, Jean Victor (1811-1894), homme politique français. Professeur d’histoire et auteur de manuels, il fut amené sous la Monarchie de Juillet à donner des leçons d’histoire aux fils de Louis-Philippe. Apprécié de l'Empereur Napoléon III avec lequel il fut en contact au moment de la rédaction de son livre La vie de César, il fut nommé, le 23 juin 1863, à la tête du ministère de l’Instruction Public (séparé alors de l’administration des Cultes). Il conservera ce poste jusqu’au 17 juillet 1869. Mal vu des catholiques, son œuvre fut néanmoins très importante  : il développa l’enseignement primaire, créa un enseignement postscolaire pour les ouvriers, favorisa l’enseignement féminin et introduisit la gymnastique dans les lycées.

2Mgr Perraud Adolphe Louis Albert (1828-1906), prélat. Prêtre de l'Oratoire de France en 1855, professeur d'histoire de l’Église à la Sorbonne en 1865, il fut nommé évêque d'Autun en 1874, puis cardinal en 1893.Normalien de la promotion Sarcey, Taine, Weiss, il fut l'auteur de plusieurs ouvrages religieux, l'Histoire de l'Oratoire en France au XVIIIe et au XIXesiècle, de plusieurs études sur le cardinal de Richelieu, le Père Gratry, d'oraisons funèbres et de panégyriques. Il fut élu à l'Académie le 8 juin 1882 en remplacement d'Auguste Barbier qui avait exprimé, avant de mourir, le désir de l'avoir pour successeur, et reçu le 19 avril 1883 par Camille Rousset. Lorsque S. E. le cardinal Perraud arriva au conclave de 1903 qui suivit la mort du pape Léon XIII, le cardinal camerlingue le complimenta et le félicita d'appartenir à l'Académie française.

3Napoléon Jérôme Joseph Charles, prince Napoléon, dit Plon-Plon (1822-1891).


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «18 juin 1885», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1885,mis à jour le : 12/08/2023