1885 |
15 juillet 1885
Alfred de Falloux à Albert de Rességuier
Bagnoles1 15 juillet 1885*
Cher ami,
je vous remercie beaucoup de votre indication de notaire et j’en profiterai certainement, la semaine prochaine. J’attends de courrier en courrier une lettre de M. Moisant, prenant en ce moment les instructions de la duchesse2 dans le midi et je serais bien étonné s’il m’obtenait une pacification complète. Ce sera comme l’affaire du Tonkin3. Il faut prévoir des retours offensifs. Je demande donc que votre prochaine réponse soit adressée encore à Bagnoles et la suite à Paris, Hôtel des ministres, d’où je me rendrai à Broglie4 et chez les Mackau5, car il est désormais évident que les élections ne peuvent avoir lieu dans le mois d’août. En attendant, je fais une propagande zélée pour la Nièvre.
J’ai un baigneur très attentif et très soigneux, nommé Auguste et je m’étais contenté jusqu’à ce moment du prénom, mais hier j’ai lu dans un journal que les républicains venaient d’être battus à 300 voix de majorité, dans un centre ouvrier de la Nièvre et je me suis hâté de porter le numéro à Auguste, lequel a fait éclater aussitôt la joie la plus vive et la plus franche : « Ah ! Ah ! s’écriait-il, les voilà fouettés comme ils le méritent. On sent la fin de ces gueux-là. Il est bien temps ! » Quand je l’ai vu si bien monté, je me suis mis alors de la partie et voici son histoire : il se nomme Auguste Fièvre. Il est le 4ème fils d’un fermier, pensant tous les 4 comme lui, m’assure-t-il et prêt à voter en conséquence, dans la petite commune d’Annet, arrondissement de Cosne. Il a voté une voix pour M. de Bourgoing6, sous lequel il avait servi en 1870 et dont il vante beaucoup la vaillance. Il se promet d’aller voter de nouveau pour la liste conservatrice, avec son père et ses frères, s’il est libre de quitter Bagnoles, mais il est gagé jusqu’au 1er octobre et ne pourra obtenir un congé pour le 27 sept. à moins qu’il n’y ait une complète pénurie de baigneurs. En attendant, cher ami, je recommande par vous, cette famille à votre comité, afin qu’elle soit encouragée dans ses bonnes dispositions et puisse probablement entraîner quelques amis et quelques voisins. En tout cas, Auguste assure que les dispositions sont bonnes dans tous les pays et qu’on obtiendra au moins un ballottage si ce n’est mieux. En Anjou, nous avons complètement battu les évêques, dans une réunion convoquée ad hic et qui, au scrutin secret, a battu les candidats de l’évêque à une immense majorité. On m’annonce même que dans sa colère, Mgr Freppel a fait un pacte avec les républicains, d’abord pour son propre compte, ensuite pour le compte de ses amis. Mais après le résultat de dimanche dernier, cela ne peut avoir ni grande suite, ni grand danger. – À vous voir de tout cœur – et au revoir sinon probable du moins possible, si vous êtes encore à Faye7 quand je pourrais aller à Rochecotte.
Alfred.
*Lettre publiée par Gérald Gobbi, Alfred de Falloux et Albert de Rességuier,une amitié dans le siècle. Correspondance 1879-1886, Paris, Société des Écrivains, 2013.
1Bagnoles-de-l’Orne (Orne).
2Fitz-James, Margareta Augusta Maria av Löwenhielm (1830-1915) duchesse de, épouse, depuis 1830 du duc Édouard de Fitz-James (1828-1902). Ils sont propriétaire d’un domaine dans le Gard, à St-Gilles.
3L’expédition du Tonkin, en Indochine, ordonnée par J. Ferry alors au pouvoir, débouchera sur une crise politique française qui éclatera en mars 1885 dans les dernières semaines de la guerre franco-chinoise mettant fin à la carrière de président du Conseil de Jules Ferry.
4Propriété du duc de Broglie, dans l’Eure.
5Les Mackau auxquels Falloux est liée possédaient le domaine de Vilmer situé sur la commune de Guerquesalles, dans l'Orne.
6Philippe de Bourgoing de La Beaume (1827-1882), homme politique, écuyer de Napoléon III et directeur des Haras Nationaux, il sera élu député au Corps législatif en 1868. Son élection sous l’étiquette bonapartiste en 1874 sera invalidée de même que celle de 1877 puis de 1881.
7Château de Faye, dans la Nièvre, domaine appartenant à la famille Benoist d'Azy.
