CECI n'est pas EXECUTE 18 mai 1885

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18 mai 1885

Arthur de Cumont à Alfred de Falloux

L'Epinay, 18 mai 1885

Si on nous avait dit, à vous et à moi, que l'unanimité des membres présents à la séance de samedi sauf Perraudière1 et moi, se prononcerait pour la visite à l'évêque2 vous ne l'auriez pas cru ni moi non plus. C'est cependant ce qui a eu lieu. Et ce qui rend la chose particulièrement imprévue, extraordinaire, mirobolante, ce sont les noms des souteneurs de la démarche. Vous ne serez point surpris, sans doute, d’y voir Armand de Maillė3, Joubert4, Gaston de Rochebouët5, Roger de Terves qui décidément est un sot. Mais Gain6! Mais Merlet7! J'en suis confondu. J'avais rencontré Maillė avant la séance, et comme je lui parlais de la proposition Blavier8, il me répondit qu'il en était tout à fait partisan, mais qu'en même temps, tenant le débat pour prématuré, il en demanderait la remise à plus tard, si quelqu'un essayer de le soulever. Au bout d'un quart d'heure de séance il fut soulevé par Joubert, et ne tarda pas à s'engager à fond. Joubert s’était borné d’abord à poser au président la question de l’opportunité ou de l’inopportunité de la démarche. Sur quoi Maillé, oubliant ce qu’il venait de me dire, s’empressa de répondre qu’il approuvait absolument cette démarche, qu’elle présentait toute sorte d’outrages, qu’elle nous donnerait le beau rôle et nous vaudrait l’approbation du public. Alors je réclamai la parole. Messieurs, lorsque, dans la précédente séance, notre ami M. Blavier nous entretint de l’idée singulière qui consiste à charger une délégation de notre comité de présenter la liste de nos candidats9 à Mgr Freppel, sous la réserve expresse qu’il ne pourrait y apporter aucune modification, je crus à une simple plaisanterie et n’y attachais pas d’importance. Aujourd’hui je reconnais mon erreur. Vous prenez la chose au sérieux, donc elle est sérieuse, et je veux la traiter sérieusement. Je ne serai pas long, je me bornerai à examiner ces deux points : la démarche est-elle convenable ? La démarche est-elle utile ? etc

Je vous épargne, cher ami, la reproduction de mon petit discours, débité avec une certaine animation, malgré une crise très douloureuse dont je souffrais juste à ce moment. Perraudière, qui était de mon avis, a trouvé mes raisons très fortes et très concluantes. La majorité, qui était de l’avis contraire les a trouvées naturellement très faibles. Je comptais sur Gain, je comptais sur Merlet. A mon grand étonnement ils sont venus renforcer Maillé, Joubert et les autres. Je n’ai pas cédé d’une semelle, comme vous pouvez croire, j’ai répliqué avec beaucoup d’énergie, et finalement, voyant qu’il n’y avait rien à tirer d’eux, j’ai demandé qu’aucune résolution ne fut prise, que l’on renvoyât la discussion, non pas à la prochaine séance, mais à deux ou trois mois au moins, ce que l’on a bien voulu m’accorder. La partie n’est donc pas perdue. Quant à Perraudière, il m’a répété qu’il donnerait sa démission si le comité persistait à vouloir faire la démarche. Le plus plaisant est que les partisans de la visite se croient très fins, très retors, des diplomates accomplis et prennent assurément en grande pitié ceux à qui échappent la profondeur de leurs calculs, et l’incomparable habileté de leurs conceptions politiques. Assistaient encore à la séance Léonce de Terves10 et Oriolle11. Ils n’ont rien dit. Tenez pour sûr qu’ils approuvaient la visite. Je voudrais savoir ce qu’en pense Soland12. Il me paraît impossible, avec son bon sens et sa rectitude du jugement, qu’il accepte une pareille insanité. Je suis convaincu au contraire qu’il nous prêtera main forte.

Adieu, cher ami. Je vous écrit près du lit de mon pauvre Arthur atteint d’une bronchite, tandis que moi-même en proie aux horreurs d’un rhume de poitrine compliqué d’un rhume de cerveau et de mes douleurs toujours persistantes, je suis encore plus misérable plus affligé et plus attristé que de coutume.

Mille tendresses

A.C.

1Joseph de La Perraudière (1832-1917), propriétaire foncier et maire de Lué-en-Baugeois (Maine-et-Loire).

2Mgr Freppel.

3Maillé, Armand Urbain Louis de La Jumellière de (1816-1903), député monarchiste de la circonscription de Cholet depuis 1871, il conservera son siège jusqu'en 1896, siégeant constamment avec l'Union des Droites.

4Joubert-Bonnaire, Achille (1814-1883), industriel et maire d'Angers (1871-1874). Élu sénateur du Maine-et-Loire en 1876.

5Gaston de Grimaudet de Rochebouët (1847-1909), général et homme politique. Propriétaire foncier à Chaumont d'Anjou (Maine-et-Loire), il fut brièvement président du conseil sous la présidence de Mac-Mahon, du 23 novembre au 13 décembre 1877.

6Louis Gain (1841-1906), avocat, bâtonnier du barreau d'Angers et conseiller municipal de cette ville, il était le fils de Louis Gain, un légitimiste influent sous la Monarchie de Juillet.

7Jules Marie Merlet (1830-1921), avait été conseiller de préfecture sous l'Empire puis préfet du Maine-et-Loire après l'arrivée au pouvoir du duc de , du 21 juin 1873 au 22 juin 1876.

8Blavier Aimé Étienne (1827-1896), ingénieur et homme politique. Conservateur (orléaniste), maire d'Angers de 1874 à 1876, il fut élu au sénat le 24 janvier 1884 lors de l'élection partielle consécutive au décès d'A. Joubert-Bonnaire, sénateur du Maine-et-Loire, était candidat à sa réélection aux élections sénatoriales du 5 janvier 1885. Réélu, il continuera de siéger avec les conservateurs monarchistes.

9Devant se dérouler au scrutin de listes, les élections à venir des 4 et 18 octobre 1885 avaient contraint les royalistes et autres conservateurs à former des listes avec les bonapartistes.

10Terves, Léonce Pierre Gabriel, comte de (1840-1916), homme politique. Candidat conservateur-royaliste en 1876 dans l'arrondissement de Segré, il sera battu par son adversaire bonapartiste, Louis Janvier de La Motte. Plus heureux dans le même arrondissement, le 21 août 1881, M. de Terves fut élu député par 7.688 voix (14.298 votants, 17.489 inscrits), contre 6.421 au député sortant.

11?

12Théobald de Soland (1821-1906), conseiller général du canton de Thouarcé (Maine-et-Loire), était un collaborateur de L'Union de l'Ouest. Venu suivre les cours de droit à la Faculté de Paris, il s'était lié avec Augustin Cochin, puis avec A. de Falloux. Revenu en Anjou en 1851, il était entré dans la magistrature, puis conseiller Cour d'appel d'Angers. Entré au Conseil général en 1870, il fut élu député le 5 mars 1876 et constamment réélu jusqu'en 1898. Il siégeait avec la droite.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «18 mai 1885», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1885,mis à jour le : 29/10/2023