1874 |
Juin 1874
Léopold de Gaillard à Alfred de Falloux
Paris samedi matin [juin 1874]
Mon cher Monsieur de Falloux
Je viens de lire les épreuves de votre chapitre final sur notre cher et admirable Cochin1. C'est le digne couronnement de cette belle vie et de votre belle œuvre. J'ai pleuré plus d'une fois en retrouvant après deux années, si vivantes et si vraies jusque dans son agonie cette figure d'honneur de bien et de grand chrétien que vous venez de consacrer pour l'histoire. Il n'a jamais su, il sait peut-être maintenant, quel bien il m'a fait par ses conseils et surtout par ses exemples. Je vous serai toujours reconnaissant d'avoir songé à me faire une petite place parmi ceux qui l'ont le plus aimé.
À ceux-là d'abord et à tous ceux qui l'ont connu des observations sur votre travail avant qu'il ne paraisse en volume. En voici deux ou trois que j'ai noté en lisant vos épreuves. elles sont tellement insignifiantes que je n'oserais <mot illisible> vous les communiquer, s'il ne s'agissait de lui et de vous.
Premier placard, 2ème colonne, 2ème alinéa, vous sentez bien que Cochin qui était à la Roche2 depuis le 10 mars et qui écrivait le 25 à son beau-frère qu'il n'y pouvait plus tenir et qu'il allait rentrer à Paris, entendant le canon prussien qui foudroyait Paris. Or le siège de Paris par Mac-Mahon n'a commencé qu’en avril, cette phrase devra donc être reportée plus avant dans le récit ou justifiée <plusieurs mots illisibles>.
Tout le passage sur les universités prétendues catholiques et l’inscription de la Roche-en-Breny est excellent et bien que répété pour les lecteurs du Correspondant, indispensable. Je ne connaissais pas l'odieux article de Bordecause contre notre ami. À votre place je ne me gênerais pas pour dire que vous le reproduisez pour la confusion et le remord de ceux qui ont été capables de l'écrire. En tout cas, dans la note sur la façon plaisante de prononcer le nom de Cochin, il serait bien de songer à ceux qui ne savent rien de la langue de nos voisins d'au-delà les Alpes et de mettre cette allusion à la <mot illisible> italienne du Ch… Plus loin êtes-vous absolument sûr que Monsieur de Montalembert ait composé l'inscription3 en commun avec Monsieur Foisset. C'est probable mais c'est la première fois qu'on le dit ailleurs que dans l'Univers. L'insistance sur ce que la chapelle de la Roche-en-Breny4 ne serait qu'un <mot illisible> me semble de peu de portée.
La lettre à Monsieur Le Play5 est nouvelle et d'un vif intérêt. Ne pensez-vous pas qu'elle devrait être suivie d'une courte note résumant la réponse de Monsieur Le Play? On éprouve une véritable déception à voir de telles questions posées entre de tels hommes et sans résultat aucun. Pour tout le reste, il n'y a qu'à admirer et à pleurer.
La lettre à Monsieur Thiers dont j'ai vu jadis la minute au crayon, fera bruit et arrive à propos. Je voudrais vous en dire autant du Manifeste de Monsieur le Comte de Chambord que je viens de lire dans les Débats. C'est au fond un manifeste contre le centre droit, c'est-à-dire contre ceux dont on a l'air de demander le vote. Je n'ai encore vu personne mais je serais bien étonné si le résultat immédiat de cette proclamation de la monarchie n'était pas la proclamation de la République. Tout le centre gauche et la moitié au moins du centre droit vont aller à la proposition Périer6.
Adieu, cher Monsieur de Falloux, et croyez toujours à mon plus entiers dévouement.
Léopold de Gaillard
1Falloux s’apprêtait à publier un ouvrage consacré à la vie de son ami Augustin Cochon, Augustin Cochin, Paris, Didier, 1875.
2Château de La Roche, propriété des Cochin, sur la commune du Coudray-Montceaux (Essonne).
3Allusion à Ecclesia libera in libera patria, l'inscription que Montalembert avait fait graver en 1863 dans la chapelle de son château de La Roche-en-Bresnil dans le Doubs, sous les auspices de Mgr Dupanloup et qui avait suscité de vives polémiques avec les adversaires du catholicisme libéral, en particulier Louis Veuillot.
4Le château de la Roche-en-Breny (ou Bresnil), en Côte d'Or, est, depuis 1841, propriété de Charles de Montalembert.
5Le Play, Pierre-Guillaume-Frédéric (1806-1882), ingénieur de Polytechnique, il s’intéressa très tôt aux conditions de vie et de travail des ouvriers en Europe où il effectua plusieurs voyages. Son ouvrage, Les Ouvriers européens (1855) lui valut le grand prix de l’Académie des sciences. Il fut chargé par Napoléon d’organiser l’Exposition universelle de 1855.
Sociologue catholique réputé, Frédéric Le Play se lia avec les catholiques libéraux notamment Montalembert, Augustin Cochin et Armand de Melun.
6Déposée le 5 juin 1874, la proposition Casimir-Périer tendant à l'établissement définitif et à l'organisation d'un régime républicain sera repoussée par l'Assemblée le 23 juillet 1874.
