CECI n'est pas EXECUTE 17 avril 1871

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17 avril 1871

Sigismond de Lévis-Mirepoix à Alfred de Falloux

Montigny1, 17 avril 1871

Mon cher ami,

Monsieur de Rességuier notre ami commun m’a lu il y a quelques jours une lettre de vous qui m'a presque convaincu et rallié à votre opinion qui n'était pas la mienne sous la réserve de quelques observations que je veux cependant vous présenter. 1° est-ce que vous regardez la chambre actuelle, acclamée plutôt qu’élue en un jour de si grand péril pour notre malheureux pays, comme sa vraie représentation pour qui nous puissions entrer avec résolution et en sécurité dans des voies si différentes du présent? 2° Est-ce qu'il ne serait pas plus sage et prudent de faire un peu de République honnête, ce qui n'a jamais été fait en France sans que ces essais aient été entravés par quelques intrigues monarchiques d'un côté ou d'un autre tout en n’hésitant pas à dire : mieux vaut 100 fois renverser la République que de la maintenir au cri de Vive le roi ce qui se fait en ce moment dans l'assemblée avec grande imprudence, et au grand détriment de la cause de l'ordre et de la liberté dont nous devons tous désirer le triomphe sous n'importe quelle forme. Notre jeune droite aurait besoin d'un chef pour la régler et la guider et jamais vous n'avez été plus nécessaire en un seul jour bon par semaine vous eussiez plus fait que tant d'autres en une semaine. Peut-être reviendrez-vous encore sur votre résolution qui nous a été si fatale; le moment des réélections va vous en donner l'occasion.

Quelle situation lamentable en effet est celle de notre pauvre France, avec ce nouvel orage qui succède à ses douleurs patriotiques! Aurions-nous à éprouver la dernière des humiliations en appelant nos ennemis pour nous sauver? Heureusement qu'après un jour d'hésitation notre armée se reforme dans les meilleures conditions, son esprit est excellent, mais elle a de grandes difficultés matérielles pour reprendre Paris et désarmer la garde nationale ce qu'il faut obtenir avant tout. Monsieur Thiers seul, sans dire son secret à personne, paraît rassuré. J'ai grande confiance en son patriotisme, en son esprit politique, mais est-il à la hauteur de la terrible situation où nous sommes? Et après lui qu'avons-nous sauf une combinaison orléaniste avec le duc d'Aumale? Nous n'avons plus aucun général qui ait conservé son prestige ; notre pauvre général Trochu vit tristement retiré avec son compagnon Fournichon2. Comme les hommes passent vite en un temps pareil! Je vais et viens entre Montigny et Versailles où j'ai mon jeune fils Adrien3 celui que vous nous avez aidé à retrouver à Laval. Le voici encore prenant sa part de cette terrible guerre civile; au moment où il se disposait à rallier son dépôt pour Blidah4. Madame Thiers5 l’a gracieusement fait rappeler près de son cousin le général Charlemagne qui commande une brigade à Versailles et le voici campé sur le plateau de Chatillon ce qui m'attire souvent de ce côté pour rapporter chaque semaine des nouvelles à ma femme, d'autant plus que nos communications postales sont encore très irrégulières. Mon jeune capitaine de cuirassier6 rallie son dépôt de Lyon à Ancenis ce qui nous ramène à l'ouest. Mille compliments et hommages autour de vous de la part du ménage et croyez moi, cher ami, tout à vous de cœur. Sigismond

Avez-vous reçu une lettre de moi de Crillon7 il y a un mois à peu près?

 

1Château de Montigny-le-Gannelon en Eure-et-Loir, propriété des Lévis de Mirepoix.

2Fournichon, Martin (1809-1884), officier de marine et homme politique. Il fut ministre de la Marine et de Colonies de 1870 à 1871.

3Adrien de Lévis de Mirepoix (1846-1928).

4Ville d’Algérie.

5Eulalie Élise Thiers, née Dosne (1818-1880).

6Gaston de Lévis de Mirepoix (1844-1934).

7Hôtel de Crillon, situé place Louis XV.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «17 avril 1871», correspondance-falloux [En ligne], 1871, CORRESPONDANCES, Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES,mis à jour le : 29/11/2023