1877 |
27 mai 1877
Amélie de Lamoricièreà Alfred de Falloux
Paris, 27 mai 1877
Cher monsieur,
Permettez-moi de vous parler ainsi, alors que personne plus que moi ne comprend l'étendue de votre malheur1 ; j'en ressens l'amertume, les angoisses et les déchirement car je sais combien vos regrets sont légitimes : avec votre bonheur passé anéanti, votre consolation présente brisée se dresse l'avenir! L'avenir, cette torture, compagne inséparable d'une douleur qui ne trouve de repos que dans l'abandon complet à la Providence.
Notre pauvre nature ne voit que l'abîme et s'en effraie, nous devons adorer quand même et croire à ces mystères de grâce dont Dieu a seul le secret.
L'ange tutélaire que vous pleurez plane et planera sur les siens, sa mission si douce et si pénétrante en cette vie se continuera du haut du ciel, pour donner à ses chers affligés la force immense dont ils ont besoin: on a pas connu madame de Falloux sans l'aimer et sans la vénérer; aussi je sais ce que sa Bonne Mère2, sa chère fille3 et vous cher monsieur, vous perdez: je voudrais pouvoir exprimer à chacun combien je m'identifie à sa propre douleur et combien je voudrais leur prouver mon attachement. Je leur offre ma compassion et mes pauvres prières.
Ma mère et tous les miens sont du cœur au Bourg d'Iré. Isabelle est tendrement occupée de Loyde. Je demande à Dieu de soutenir les forces de sa chère grand-mère et dans mon regret cher Monsieur de ne pouvoir être près de vous, je vous demande de compter plus que jamais sur mon attachement.
Amelie La Moriciere
1Falloux venait de perdre son épouse,Marie, décédée le 24 mai 1877.
2Emilie-Marie-Charlotte de Caradeuc, née de Martel (1801-1882), belle-mère d'Alfred de Falloux.
3Loyde de Falloux (1842-1881), fille unique des Falloux. Atteinte de nanisme, elle était de santé fragile.
