Année 1853 |
29 novembre 1853
Alfred de Falloux à Victor de Persigny
Bourg d’Iré, 29 novembre 1853
Cher ami,
Je ne viens vous demander ni de vos nouvelles ni de celles de votre chère femme que je me fais donner sans que vous vous en méliez et plus souvent que je ne pourrai les obtenir d'un homme de dévouement occupé.
Je ne prends donc aucun prétexte pour ma lettre qui m'a d'autres objets que de vous demander si vous pouvez dire de cœur qui se trouvera en même temps pour vous et à votre point de vue l'acte de justice le mieux placé.
Vous vous rappelez peut-être que je vous ai parlé du Sous-Préfet de Segré1 comme d'un homme d'une élévation de caractère et d'une délicatesse et d'esprit tout à fait hors ligne. il est fils d'un général de l'Empire le baron Gros, il est passionnément dévoué à l'empereur, qui l'a fait entrer dans l'administration de sa bonne grâce toute personnelle; c'est enfin un de vos futurs préférés les plus sûrs et les plus clairement désignés. il me faut un grand désintéressement pour plaider ainsi sa cause, car vous ne me rendrai jamais son pareil mais voilà la transaction que je me suis faite entre son intérêt et mon égoïsme, ce serait d'appeler votre attention sur lui pour une distinction qui fut une récompense cependant le laissat encore quelques temps parmi nous et ce serait la Croix. Les journaux me disent ce matin que vous préparez des promotions pour le 2 décembre. rien ne lui irait mieux que cette date, j'ai hésité à vous confier ce Trévise désire qui me trotte par la tête depuis longtemps, la tentation l'emporte et voilà ma supplique lâchée. Notez en tout cas ces deux choses 1° qu'il ne m'a jamais dit un mot à ce sujet, et ne se doute pas le moindrement de ma démarche 2° que je vous prie de votre côté de juger ma demande à vous tout seul et de la soumettre à l'empereur si vous le jugez possible sans l'intermédiaire officiel des bureaux et des enquêtes, car je suis sûr que Monsieur Gros me saurait très mauvais gré, de lui avoir prêté à son insu les apparences d'une ambition qui ne m'a nullement motivé à manifester pour lui point veuillez cher ami le faire pour moi et avec moi ou bien pas du tout et je t'ai oublié au feu. Votre délicatesse habituelle comprendra bien la mienne. j'ai une vraie estime et par conséquent un vrai attachement pour Monsieur Gros il n'a aucune fortune point la croix peut l'aider pour un bon mariage il a déjà 34 ou 35 ans. Personne ne la recevra avec plus de respect et ne la portera avec plus d'honneur. Je vous donne non légèrement ma garantie sur tout cela. Si elle vous suffit, vous m'aurez causé une vraie joie. Si des obstacles dont vous n'avez pas à me rendre compte s'y opposent je croirais à votre regret même sans que vous ne le saviez.
À vous comme vous savez.
Alfred
